Naguère passés soigneusement sous la loi du silence, les conflits entre les diverses ailes du mouvement Ennahdha apparaissent au grand jour. Le rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe) a révélé les clivages persistants entre l'aile progressiste et celle conservatrice. Député du parti islamiste et ex-ministre de l'Agriculture, Mohamed Ben Salem a brisé l'omerta en estimant que son collège du conseil de la choura Lotfi Zitoun fait cavalier seul et tente de se démarquer des autres membres du mouvement. «Mes opinions relatives au rapport de la Colibe ne sont pas identiques à celles de Lotfi Zitoun. Réformiste, Lotfi Zitoun? Je ne le pense pas. Lors du 10è congrès du parti, des courants réformistes avaient demandé que les membres du Bureau exécutif soient élus alors Lotfi Zitoun défendait un point de vue très conservateur puisqu'il voulait que le président du mouvement choisisse lui-même les membres de ce bureau», a souligné Mohamed Ben Salem dans une déclaration accordée le 13 août à la radio Diwan FM. Réagissant du tic au tac à cette déclaration, Lotfi Zitoun a fait remarquer que Ben Salem «tente de créer une police d'opinion au sein du mouvement qui confisque les idées, dénature les vérités et diffuse des questions internes toujours en cours de débat au sein des institutions». «La réforme est dans son esprit une question de réglementation technique liée au secret du bureau exécutif», a-t-il indiqué. Les critiques adressées par Mohamed Ben Salem, qui est l'un des faucons d'Ennahdha, interviennent dans un contexte de débat interne enflammé au sein du parti autour du rapport de la Colibe. Lotfi Zitoun, qui s'est déjà prononcé en faveur de la dépénalisation du cannabis et de l'homosexualité, a exprimé son soutien à la présidente de cette commission face à la campagne de dénigrement dont elle fait l'objet. «Toute ma solidarité à Bochra Ben Hmida. Nous voulons une Tunisie pour tous. La Tunisie change. Il y a débat et diversité de vues. Tout était pour le mieux mais, depuis la publication du rapport de la commission des libertés, j'ai lu beaucoup de commentaires inacceptables contre les membres de la commission», avait-t-il écrit sur sa page Facebook. Et d'ajouter : «Mon amie, Me Bochra Belhaj Hmida, vous avez le droit de défendre votre projet. Vous avez le plein droit d'avoir et de défendre une opinion différente ». Mohamed Ben Salem a, quant à lui, fustigé le rapport de la Colibe et l'initiative du président de la République concernant l'égalité en héritage. «80% des Tunisiens sont contre le rapport de la commission», a-t-il révélé, évoquant une vagué de sondages d'opinions qui n'a pas été rendue publique. «Si les députés n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la proposition relative à l'égalité successorale, nous serions dans l'obligation de recourir au référendum, et c'est au peuple de décider», a-t-il ajouté. De son côté, Abdelhalmid Jelassi, un autre faucon d'Ennahdha, a souligné que les voix réfractaires au rapport de la Colibe «constituent l'intime expression du pouls de la société tunisienne porteuse des valeurs islamiques qui sont profondément enracinées en elle». Cet ex-prisonnier, qui a passé de longues années dans les geôles de Ben Ali, s'est également réjoui du rejet du rapport en question, indiquant que le mouvement Ennahdha «est très à l'aise» à ce propos. Ainsi, le mouvement islamiste ne cache d'ailleurs plus ses divisions, et on est bien loin de la charte constitutive des Frères musulmans qui enjoint aux militants de rester unis pour le meilleur et pour le pire ad vitam aeternam, au risque de se faire excommunier. En fin manœuvrier, le président du parti, Rached Ghannouchi, a d'ailleurs cherché à rassurer l'aile moderniste et celle conservatrice et de tenter un exercice d'équilibrisme, en déclarant qu'Ennahdha compte «interagir avec l'initiative du président de la République Béji Caïd Essebsi relative l'égalité successorale, lorsqu'elle sera soumise au Parlement».