Bilel et Anwar sont tous deux résidents en médecine. Devenir médecin, enfiler la blouse blanche et sauver des vies est un rêve qui les taraude depuis tous petits. Mais maintenant qu'ils y sont ou presque, l'enthousiasme du début n'est plus vraiment là et pour cause ! La réalité des hôpitaux publics a eu raison de leur fougue et les fait de plus en plus réfléchir à partir exercer leur profession ailleurs. Quelles raisons évoquent-ils ? En parallèle de leur vie estudiantine et professionnelle, Bilel et Anwar consacrent près de 20 h de leur temps, par semaine, pour étudier la langue allemande. C'est que tous deux désirent migrer en Allemagne et y travailler. Ils évoquent des salaires attrayants, de meilleures conditions de travail mais pas que ! « Chaque jour qui passe apporte son lot de mauvaises nouvelles pour la Tunisie et notamment sur le plan économique ou encore social. C'est déprimant ! », déclare Bilel. Il ajoute : « Notre métier nécessite une concentration extrême et un état d'esprit serein pour pouvoir poser correctement un diagnostic et sauver des vies . J'ai l'impression que depuis quelques temps, tout va à reculons. Tout est ankylosé et peine à avancer dans le droit chemin. Partout où je vais et peu importe avec qui je discute, le constat est le même. Les gens sont blasés et ne cherchent plus vraiment à s'en sortir ou à faire un effort pour l'essor de la Tunisie. Personnellement, j'ai des rêves, de grands rêves et je ne veux pas y renoncer. La seule solution pour moi est d'évoluer dans un environnement stimulant et prospère. J'aime mon pays mais je ne sais pas si je suis prêt à faire encore beaucoup d'efforts quand presque tout le monde a baissé les bras. » Anwar pour sa part veut partir car elle ne se sent pas en sécurité. Elle explique : « La recrudescence de la violence au sein des établissements hospitaliers est ma pire hantise. Une fois, je me rappelle qu'une de mes amies a passé près d'une heure à simuler de réanimer un cadavre car la nombreuse famille du défunt se tenait derrière la porte et l'avait avertie que s'il mourrait, elle le rejoindrait aussitôt. Nous travaillons vraiment avec la peur au ventre mais ce n'est pas spécifique aux hôpitaux. Même dans la rue ou dans un taxi je ne me sens pas en sécurité. Une fois, un chauffeur de taxi a refusé de me conduite à l'hôpital La Rabta. Quand je lui ai dit que ce qu'il faisait était contraire à la loi, il a ricané en m'avertissant qu'il avait un gros bâton dans la malle de sa voiture et qu'il n'hésiterait pas à s'en servir si j'insistais encore. Ce n'est pas une vie ! Ce n'est pas épanouissant pour nous et encore moins encourageant alors que d'autres pays comme l'Allemagne ou la France nous attendent les bras grands ouverts. Ce n'est sûrement pas une question de salaire et d'économies mais plutôt de qualité de vie. Je ne veux pas risquer ma vie en tentant d'en sauver d'autres. La médecine est un métier noble que chacun doit respecter et non pas agresser et menacer ceux qui exercent cette profession. » Récemment en visite en Tunisie, le Directeur général d'un groupe allemand international de soins de santé a déclaré que son groupe désirait recruter pas moins de 130 mille tunisiens entre médecins et paramédicaux d'ici l'année 2025. Le seul vrai handicap que rencontrent les Tunisiens qui désirent partir en Allemagne reste la langue pour le plus grand bonheur des centres d'apprentissage de la langue allemande qui multiplient les sessions et assurent aux participants qu'ils atteindront le niveau requis, soit le B2, en quelques mois. Seulement, en s'y frottant de près, nombreux sont ceux qui se rendent compte que la langue de Goethe n'est pas des plus aisées et que pour la maîtriser, il faut bien plus que six à huit mois.