Faire taire ou étouffer un thème ou un dossier n'altère en rien son existence. Ceci est plus valable pour un problème d'envergure nationale. Les sanglots de M Abdellatif Mekki, actuel ministre de la Santé publique, lors de son dernier point de presse, sont la preuve irréfutable d'un effort de rattrapage quelque part, d'un ratage énorme que l'Etat aurait commis dans le traitement de l'inédite pandémie du coronavirus. Aucune raison de valable pour ne pas le prendre ainsi. Reste à interpréter les larmes du ministre, qui, par-delà leur dimension passionnelle, se présentent comme une réaction « extrême » à une incurie commise quelque part, dans les rouages de l'Etat lui-même. Le fait de mettre la responsabilité des échecs annoncés dans ce dossier sur le comportement ou l'indiscipline de la population est, de prime abord, tout à fait légitime. Car, confiner pendant plusieurs semaines, une population de dix millions d'âmes n'est pas chose aisée. Qui plus est, avec les carences vécues quotidiennement dans la logistique chancelante du pays. La rareté des moyens techniques en matière de santé et de soin n'est pas, non plus, à sous-estimer en temps de crise, comme en ces journées décisives. Le manque de moyens de protection encore, comme les masques et autres accessoires pouvant limiter la prolifération de la contagion exponentielle, au cas où les choses ne changent pas. Reste le volet politique ! Le corona de la dissidence D'abord la première semaine de l'action gouvernementale ne coïncide pas nécessairement avec le début réel de la pandémie dans le pays. Souvenons-nous, au début de mois de mars, un bras de fer opposait les pouvoirs législatif et exécutif d'une façon qui était ouverte sur toutes les perspectives, sombres bien entendu. Le gouvernement Fakhfakh a été formé pratiquement par césarienne. A peine passé à l'ARP, cette dernière a déclenché sa machine bureaucratique implacable, afin de négocier politiquement la demande de prérogatives de crise formulée par le nouveau Chef de gouvernement. Dans ce contexte, et afin d'enfoncer un peu plus le clou et renchérir, s'ébruitent les premiers éléments d'un scandale en pays démocratique géré par des institutions, ou d'un dossier extrajudiciaire d'une rare gravité sur la situation telle qu'elle est devenue. Il s'agit de la démission du Général Hamdi, conseiller auprès du Président de la République pour les questions de sécurité. Le responsable démissionnaire a publié sur les réseaux sociaux la ou les raisons de son geste ultime. On y apprend par exemple que le Conseil National de sécurité a demandé d'ouvrir le «dossier» d'une affaire extrêmement grave. Celui de limoger ou à tout le moins interroger le chef de la police de l'aéroport de TunisCarthage, sur les mobiles et les modalités exactes de sa décision de «lâcher dans la nature» la totalité des passagers d'un vol en provenance de la Turquie. Le tout sur consignes téléphoniques de personnes haut placées, l'allusion, dans les détails, était fortes, à Rached Ghannouchi, l'homme aux multiples casquettes. Chef de l'ARP (Assemblée des Représentants du Peuple), chef du parti Ennahdha, en plus d'autres titres occultes, lesquels expliquent mieux la situation que ses titres officiels tunisiens. Ses relations «privilégiées» avec le tumultueux président turc Recep Tayyip Erdogan, pourvoyeur de fonds et d'exil pour la mouvance des Frères musulmans, et dans la foulée, des groupes armés à l'œuvre en Syrie, ces relations font désormais partie des lieux communs à la portée de tout liseur d'informations sur la région MENA de l'après printemps arabe. Ce même Erdogan, dont les milices de mercenaires sillonnent actuellement des zones en Libye, au mépris de toutes les lois internationales en vigueur. Malgré ces éléments à charge de Ghannouchi, on a du mal à avaler que lui seul puisse « libérer » les passagers d'un vol Istanbul-Tunis d'un clic sur son téléphone. Si l'affaire a été « étouffée » dans les médias, au moins jusqu'à maintenant, il n'en demeure pas moins qu'elle reste inquiétante sur la qualité de la coordination prévalant actuellement entre les différentes institutions de l'Etat tunisien. Une chaine de responsabilités en question On ne peut pas croire à la version simpliste à la « Trabelsi ». Un coup de fil, tout est réglé dans l'immédiat, et on n'en parle plus. Ce temps-là est révolu. A ce coup de fil, le chef de la police de l'aéroport a dû en référer à sa hiérarchie afin de mettre à exécution une décision de cette portée. Le ministre de l'Intérieur, membre permanent du Conseil National de sécurité, tout comme Ghannouchi, doit être un maillon de la chaine de cette libération problématique de passagers « civils » d'un vol, en les dispensant de toute mesure sanitaire, en pleine crise de la pandémie. La question qui surgit à ce niveau : est-ce que le ministre de l'Intérieur s'est référé au chef du gouvernement, son boss direct, afin de favoriser cette mesure ? Le chef du gouvernement, troisième membre du Conseil de la Sécurité Nationale était, pendant ce temps-là, prisonnier du feuilleton qui a jeté les bases de ses actuels rapports avec l'ARP, Ghannouchi…et les autres. Le coronavirus n'est pas endémique en Tunisie. Il est importé. Les chiffres publiés jusqu'à ce jour par le ministère de la Santé publique sont convertibles à souhait. Le nombre d'atteintes à l'origine correspond moins à la réalité qu'au dixième du nombre de passagers du vol incriminé, celui d'Istanbul-Tunis. Donc, loin de toute mystification politicienne gratuite, l'affaire de ce vol traduit une ou plusieurs cassures dans la plus haute instance sécuritaire du pays : Le Conseil National de la Sécurité, présidé par le chef de l'Etat, Kaïs Saïed. Avec trois de ses membres, Ghannouchi, le ministre de l'Intérieur et le chef du gouvernement déjà dissidents dans cette affaire, la question qui nous reste est : Kaïs Saïed a-t-il été consulté au préalable, ou bien informé après coup, selon la tradition de Rached Ghannouchi, l'homme aux multiples casquettes ? Plusieurs questions qui en disent long, derechef, sur la turpitude que l'on constate de jour en jour, et qui frappe les rouages de l'Etat. L'on craint fort que les larmes de M. Abdellatif Mekki, et de Nissaf Ben Alaya, porte-parole du département de la Santé quelques jours auparavant, ne pleuraient plus que cette gabegie dans les moteurs de l'Etat, en ces moments où seul un réacteur pourrait répondre honnêtement aux normes de décollage, avec cette surcharge de problèmes…importés, entre autres, à l'aéroport international de TunisCarthage. L'accord des violons semble plus que jamais lointain, avec ces gens que l'on connait trop.