Trois membres du personnel hospitalier de l'hôpital Habib Bourguiba à Sfax viennent d'être incarcérés, en vertu d'un mandat d'arrêt émanant du Ministère public. L'arrestation ne souffre aucune irrégularité procédurale ou juridique. Dans cette affaire où est « impliqué » Mohamed Affès, qui, à ce qu'il parait endosse le maillot du plaignant, il y a problème. Aux deux cas : Si la Justice passe « le dossier » sur la base d'une atteinte au droit public, ou bien en tant que dossier pénal pour violence. C'est la personne de la présumée victime qui pose plus d'une interrogation. Si l'on déconsidère le fait que Affès est un député, jouissant d'une immunité qui le met pratiquement au-dessus de la loi, loin même de la loi, le dossier fera date. A cause justement de l'immunité parlementaire du sujet. En effet, l'immunité en Tunisie s'apparente plus à un privilège féodal qu'à une dérogation républicaine. Bien que le pays grouille de privilèges et de dérogations non écrites, l'immunité parlementaire a été consacrée par un texte fait par le pouvoir législatif qui en est le seul bénéficiaire. Cette immunité est d'autant plus débridée qu'elle suspend ce qui la précède comme antécédents judiciaires. A ce titre, cette loi sur l'immunité semble être dopée d'une rétroactivité qui en fait un texte anticonstitutionnel par excellence. C'est une forme délibérée d'écraser les deux autres pôles du pouvoir, l'Exécutif et le Judiciaire. Dans cette affaire particulièrement, le rôle de la Justice se trouve réduit à l'exécution de la volonté aveugle du législatif ainsi « immunisé », en n'appliquant que les textes exécutifs de la loi. Peu importe donc la justesse ou l'exactitude de la procédure d'arrestation des trois membres du personnel médical, elle reste secondaire. Ce qui l'est moins, c'est le lieu de l'infraction, un peu curieux. Ainsi, des personnels à l'œuvre sur « leur » lieu du travail, se trouvent attaqués en justice, au terme d'une rixe sur le même lieu, dont le protagoniste est d'abord étranger au service, et ensuite drapé de l'immunité parlementaire le dispensant, à ce qu'il parait, de la loi du travail, de la loi tout simplement, et des règles de l'éthique médicales en vigueur. Si le dossier passe sous cette forme, il y a tout lieu, pour chaque travailleur, de sentir menacé sur son lieu de travail. Là, et en l'absence d'un certain degré de sérénité, on voit mal comment un travailleur peut être une force ou un facteur de quantité ou de qualité, fiable. Quand il s'agit d'un hôpital de la dimension de celui de Sfax, où se déroulent les interventions chirurgicales les plus pointues, les choses prennent une autre tournure. Plus qu'un conflit intra-corporatif Un autre aspect de cet imbroglio juridico-médical, la qualité du plaignant : C'est un médecin, faisant partie de la même corporation que les prévenus. En forçant les portes d'un service qui lui est étranger, ce médecin n'avait-il aucun sens de l'administration et de l'organisation des services de santé. Pire encore, l'incident incriminé s'est passé en temps de crise du coronavirus, avec son cortège de victimes dans la région de Sfax même. Sa qualité professionnelle, bien que très secondaire dans un dossier de violence, l'accable doublement au lieu de renforcer sa position. Quand un citoyen lambda, en temps de pandémie, brise les interdits et « tente » de forcer la porte d'un service auquel il ne devrait pas avoir accès, il est puni selon la loi et la présence d'esprit du juge et des avocats. Mais quand il s'agit d'un médecin qui fait la même chose, et sans porter les précautions d'usage, on touche l'irresponsabilité la plus caractérisée, voire même une intention tacite de vouloir casser l'embargo médical hygiénique, non seulement du département lieu de l'incident, engageant le pronostic vital de tous les occupants de l'unité hospitalière, y compris les urgences. Une quantité de « vices » qui risquent de provoquer un changement de position spectaculaire entre le plaignant et les prévenus. Seulement, le plaignant, Affès ne l'entend pas de cette manière à ce qu'il parait. Le seul bouclier dont il se prévaut est sa qualité de député, conférant à sa personne l'immunité parlementaire. Ce sera beau à suivre. Un parlementaire accablé de la série de dépassements multidimensionnels cités supra qui, non seulement s'en sort à peu de frais, mais qui provoque l'arrestation de trois citoyens, ouvriers et cadres, sur leur lieu de travail, défiant indices et preuves, sachant que le lieu du spectacle est équipé d'un système de surveillance électronique. Des indices et des preuves à décharge, à la pelle ! Doit-on dans ce cas interroger le député ainsi immunisé sur la nature de la mission parlementaire qu'il assurait à l'hôpital au moment des faits ? Et selon quelle organisation cette mission a-t-elle chaviré ? L'administration de l'hôpital en avait-elle été avisée ? Toutes ces questions plaident exclusivement en faveur d'une seule conclusion : Ce qui fait problème en réalité, c'est cette immunité sans limite qui a transformé certains députés en vulgaires bandits de quartiers. A la base, l'immunité traduit une volonté franche d'une catégorie de gens, de s'affranchir des lois consacrant leurs devoirs à l'égard de la société et de l'ordre qui la régit. L'immunité parlementaire, c'est en partie cela. L'un des aspects les plus troublants de cette dérogation vicieuse est que les bénéficiaires gardent le droit de recourir à une Justice à laquelle ils ont fait des lois afin de s'en dispenser. Des lois sans limites, puisque suspensives dans le cas des antécédents commis avant la publication des résultats définitifs des élections législatives. Un relâchement des meurs philosophiques et politique à faire pâlir les plus abjectes des dictatures et des tyrannies de l'époque féodale. La question qui tue : Que valent intellectuellement nos députés sans l'immunité ? Rien ou presque pour au moins une bonne moitié de l'Hémicycle ! En tant de relâchement anarchique, je parie que même les conseillers du président de l'ARP et les membres de son « cabinet » sont frappés du sceau de l'immunité. Les textes la régissant étant d'une étendue océanique. Heureusement que le présent dossier est suivi par l'inspection générale du Travail, et une certaine UGTT qui est à l'affût de ce genre d'excès. Sinon, avec cette ARP au-dessus de tout, nous aurions retournés à l'âge de pierre. Désolant, n'est-ce pas ?