En plein processus créatif, Cyrinne Douss multiplie les initiatives et les échappées artistiques. La Journée mondiale de la Danse est pour elle l'opportunité de partager ses créations récentes sur les réseaux en attendant un retour sur les planches. Danseuse et chorégraphe, Cyrinne Douss ne dételle presque jamais. Avec plusieurs cordes à son arc et semant à tous vents, elle crée comme elle respire, sublime les corps par la danse et cherche des points d'appui pour toujours aspirer à atteindre la grâce. Entre le corps réel et le corps qui danse A la fois conceptuelle et ancrée dans la pratique de la danse, Douss sait tirer le meilleur de chaque geste, chaque mouvement ou posture esthétique. Ses performances sont toujours un champ ouvert sur la relation profonde qui existe entre expression corporelle et approches théoriques. Qu'elle intervienne en soliste ou dans des ensembles plus larges, cette artiste cherche toujours l'or du temps à la croisée des savoirs et des pratiques. Avec son approche, la danse devient l'art des passages. En d'autres termes, ce sont des fugues et des haltes sur les chemins de l'imaginaire que l'artiste cherche à défricher. Soucieuse du contexte, de la superstructure intellectuelle qui porte les danseurs, Douss provoque par les gestes, les sons éparpillés et le mouvement des corps, une vibratoire complexe. C'est dans l'élan qu'elle abolit la matière inerte et instaure un corps/psyché qui épouse les contours de la modernité plastique. Le temps d'une danse, le mouvement semble éclairer l'air ambiant, l'égratigner, le détacher du hasard. Autour de chaque son, au coeur de chaque présence, Douss oscille entre son corps réel et son corps qui danse. La dynamique qui traverse la danseuse est des plus troublantes car on la sent à la fois familière et indéfinie. On ressent que chaque fragment s'insère dans une partition où rien n'est gratuit et en même temps, on perçoit la danse sortir d'elle et devenir signifiante. Un peu comme un chant prisonnier qui se libère de l'emprise du corps réel, les pas dansés ou mimés par Cyrinne Douss tracent dans l'air une représentation unique. Dans cette logique, on pourrait aller jusqu'à affirmer que Douss rend la danse réelle, brise un seuil impalpable et surtout véhicule une énergie mythique. Une patiente dialectique de l'instant et de la forme Il faut avoir vu Douss danser pour comprendre sa patiente construction d'une dialectique de l'instant et de la forme. C'est d'ailleurs une constante de son dispositif chorégraphique. Peu importe que le corps qui danse soit dans un parking, un terrain de basket-ball ou sur un tapis de yoga. L'essentiel est ailleurs, dans l'illusion qui se construit geste après geste et aussi dans le pouvoir d'incarner cette illusion, ce spectacle, cette résonance, cette échelle dont l'énergie est vibratoire. Les sortilèges de la danse contemporaine font que cet art est ardu pour ceux qui sont confinés dans la platitude du regard. Il faut être pleinement réceptif, magnétiquement disponible si l'on peut oser cette image. Sinon, il devient impossible d'entrer dans la danse, décrypter les gestes, enlacer la dimension spatiale ou écouter les corps respirer. De Béjart à Pina Bausch, de Malek Sebai à Nawel Skandrani, le corps fluide, agité, tremblant ou épuisé accapare l'espace, s'y projette, l'irrigue puis s'y fond comme un totem. La danse est toujours une transcription du souffle et une quête de justesse, d'équilibre entre les sons et les mouvements. La danse jaillit, finit par trouver son point d'appui puis s'extrait de l'espace. Elle survient et nous dépasse comme un pont furtif arraché au réel. Les dix dernières années, les créations de Cyrinne Douss ont été le miroir de ces soucis esthétiques et de cette recherche sur le corps et la danse. Avec "Unes" en 2011 ou "Filantes" et "Zwez", des oeuvres plus récentes, l'artiste a déployé des univers contradictoires. Avec "Mille peaux" et "D'une vie à l'autre", ce sont d'autres audaces qui s'égrènent avec toujours la constante du corps/danse et de l'énergie qui s'extériorise dans la représentation. A cause du confinement, des spectacles ont été reportés comme par exemple au Festival de danse contemporaine de Ramallah. Toutefois, cela n'empêche pas Douss de partager son art à l'occasion de la Journée mondiale de la Danse. Ainsi, l'artiste ouvre ses archives et propose un focus virtuel sur chacune de ses œuvres. Jusqu'au 1er mai, toutes les créations et l'actualité de Cyrinne Douss sont sur les réseaux et témoignent de la créativité de cette artiste. A découvrir et apprécier en attendant de "bientôt pouvoir retrouver la joie du vivant, du toucher et des interactions créatrices" comme l'exprime si bien cette danseuse, l'une des forces vives de la chorégraphie en Tunisie.