Ils étaient faits pour se rencontrer. Ils mettront un peu plus de temps pour se retrouver. Albert Memmi nous a quittés il y a quelques jours. Un certain 22 mai au soir. Il peut désormais rejoindre, au « panthéon » des esprits libres, qui luttent, pour s'élever, l'autre Albert. Camus, qui, en préfaçant son roman, autobiographique -La Statue de sel-, avait su mettre le doigt, sur l'essentiel. Ce, en quoi ils se rejoignent, et ce qui les déchire. Et que leurs livres déclinent, d'une œuvre à l'autre. A savoir que, s'ils savent d'où ils viennent, ils auront toute leur vie, -courte pour Camus- du mal à comprendre, et encore plus du mal à définir, qui sont-ils réellement, et sur quel rivage, ils doivent échouer un jour, pour être heureux. Le bonheur est une illusion, difficile à étreindre. Qui a parlé de bonheur ? Ils se contenteront, pour leur part, sans avoir assez de toute une vie, de subir les tourments de la quête. Celle qui doit vous ménager un chemin, vers la compréhension de l'Autre. Qui doit en passer, obligatoirement, par la compréhension de vous-mêmes, lorsque vous-mêmes, n'arrivez pas à dénicher, parmi le lourd trousseau de clés, que vous trimballez, celle qui pourra vous ouvrir la porte de votre être, pour vous libérer. Albert Memmi en affichant sa révolte, et son « intranquillité », d'un livre à l'autre, en avait eu la préscience, bien avant de quitter Tunis pour Paris. Et en avait amorcé la déchirure, dans sa « Statue de sel », toujours recommencée. Du « Portait du colonisé », précédé du « Portrait du colonisateur », jusqu'à, plus près de nous, son « Journal de guerre… », ponctué de tous ses romans, qui n'ont de cesse de raconter en palimpseste, ses chemins de « croix », qui sont, une éternelle interrogation, sur ce qui fonde l'identité d'un tunisien, juif, berbère, africain, devenu aussi français, et méditerranéen, pour faire court, sans jamais pouvoir être sûr, qu'il est tout a fait l'un, ou l'autre, ou s'il peut être l'un, sans l'autre, ou toutes les composantes de son être pluriel, réunis, et si possible, enfin en accord, aura traversé le siècle, sans jamais renoncer. A se poser les questions essentielles, inhérentes à l'humanité des Hommes. Que nous devrons nous poser aussi. Comme l'autre Albert, celui de « Sisyphe… », il manquera à l'appel.