Le Kremlin a rejeté hier toute implication de l'Etat russe dans l'empoisonnement de l'opposant Alexeï Navalny, victime selon Berlin d'une attaque utilisant un agent neurotoxique de type Novitchok dénoncée par les Occidentaux. "Il n'y a aucune raison d'accuser l'Etat russe", a martelé devant la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, en appelant l'Occident à se garder de tout "jugement hâtif". Selon le gouvernement allemand, des examens approfondis effectués par un laboratoire de l'armée allemande sur l'opposant russe, hospitalisé à Berlin, ont apporté la "preuve sans équivoque » de l'emploi contre ce critique du Kremlin de 44 ans d'un agent chimique neurotoxique de type Novitchok. Mis au point par les Soviétiques dans les années 70 en tant qu'arme chimique, cet agent se présente le plus souvent sous la forme d'une fine poudre susceptible de pénétrer les pores de la peau ou les voies respiratoires. Après les déclarations de Berlin, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a exprimé jeudi sa "grave préoccupation". Ce même agent neurotoxique avait déjà été utilisé contre l'ex-agent double russe Sergueï Skripal et sa fille Ioulia en 2018 en Angleterre, selon les autorités britanniques, qui en ont imputé la responsabilité à l'Etat russe. L'affaire Skripal avait provoqué à l'époque de lourdes sanctions occidentales contre la Russie, qui a rejeté toute implication. Après la confirmation par l'Allemagne de l'empoisonnement de M. Navalny au Novitchok, l'économie russe a été secouée jeudi par des craintes de nouvelles sanctions à l'encontre de Moscou. Le rouble a plongé dès mercredi soir à son plus bas niveau depuis le pic de la pandémie de coronavirus au printemps, et la Bourse de Moscou a également dégringolé, l'indice RTS, libellé en dollars, chutant de plus de 3% à la clôture mercredi. "Les relations de la Russie avec l'Occident ont de nouveau été empoisonnées par le Novitchok", a écrit jeudi le quotidien russe Kommersant. Cependant, un porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano, a jugé "difficile de parler de punition (...) à ce stade", quand "aucune enquête ne pointe qui est responsable". Il a appelé la Russie "à enquêter de façon transparente et exhaustive". Cette situation pourrait également avoir de lourdes conséquences sur le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui devait abreuver l'Europe et notamment l'Allemagne en gaz russe. Bien que quasiment terminé, le projet est à l'arrêt depuis plusieurs mois en raison des menaces de sanctions américaines. Jusqu'à présent, l'Allemagne, principal acteur européen de ce projet, condamnait la position de Washington. Mais Bild, le journal le plus lu d'Allemagne, appelait jeudi à arrêter le projet, affirmant que "si le gouvernement (allemand) n'arrête pas la construction de Nord Stream 2, nous financerons bientôt par (ce projet) les attaques au Novitchok de Poutine". Militant anti-corruption, connu pour ses enquêtes visant les élites russes, Alexeï Navalny a été hospitalisé en Sibérie fin août après avoir fait un malaise dans l'avion. Il a ensuite été transporté à Berlin à la demande de sa famille et reste "dans un état grave", selon l'hôpital berlinois de la Charité. "De très graves questions se posent à présent, auxquelles seul le gouvernement russe peut et doit répondre", a prévenu la chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays assure la présidence du Conseil de l'Union européenne.