L'accusé n'est pas prêt de l'oublier de sitôt cette fameuse nuit fatidique d'autant qu'il a écopé d'une peine exemplaire de dix ans de prison pour un repas copieux qu'il a certainement payé très cher, trop cher même. Vers minuit, il était en galère avec un compère. Tous deux fortement ivres, après une tournée des ducs bien arrosée. Mais au lieu de rentrer, ils continuèrent leur vadrouille nocturne à travers les rues de la capitale qui les mena au quartier de Bab Jédid où ils dénichèrent un restaurant populaire encore ouvert à cette heure tardive de la journée. Ayant déjà ingéré force cannettes de bière, ils avaient à présent une faim de loup à apaiser le plus rapidement possible. L'acolyte du prévenu ne se fit pas alors prier pour commander les plats les plus consistants et les plus chers afin de rassasier un estomac bien vide. Etant encore clairvoyant, il avala goulûment les mets à grande vitesse avant de prendre momentanément congé de son compagnon. C'est du moins ce qu'il prétendit, car en réalité il a pris ses jambes à son coup pour filer loin du coin, n'ayant pas de quoi payer ce repas abondant qu'il s'est offert, alors que son compagnon attendait vainement son retour. Néanmoins, il termina tranquillement son festin et s'apprêta à quitter les lieux sans payer la facture que lui présenta le garçon. Le gérant du restaurant dut ainsi intervenir, mais sans obtenir gain de cause, le client lui ayant avancé que ce n'était pas lui qui avait commandé les repas. Une altercation verbale s'ensuivit entre les deux hommes à l'issue de laquelle l'alcool l'emporta puisque le forcené s'en prit violemment à la devanture de la gargote dont la vitrine vola en éclats. Cela ne lui a pas suffi car il s'attaqua au réfrigérateur qu'il endommagea sérieusement avant de s'en prendre au patron. La balance des forces ayant penché en faveur du tenancier, l'accusé sortit alors un couteau qu'il planta dans l'abdomen de son rival qui s'en tira miraculeusement, suite à une longue hospitalisation, ponctuée de deux opérations chirurgicales. Son forfait accompli, l'accusé quitta les lieux comme si rien ne s'était passé, mais sa vadrouille ne dura pas longtemps puisqu'il a été arrêté par les forces de l'ordre qui recueillirent ses aveux complets. Lors de l'enquête, il souligna que c'est la faute à l'alcool qui lui a fait perdre sa lucidité. Traduit devant la chambre criminelle du tribunal correctionnel de Tunis sous le chef d'accusation de tentative de meurtre, l'ivrogne nia farouchement avoir eu l'intention de donner la mort à son adversaire. " J'ai utilisé le couteau pour me défendre ", a-t-il indiqué au juge. L'avocat devait suivre la thèse de son client et solliciter les circonstances atténuantes en sa faveur, vu l'état d'ébriété dans lequel il se trouvait lors de la bagarre. Malgré la brillante plaidoirie de la défense, le tribunal a infligé à l'accusé une peine de mise à l'ombre de dix années.