Ils sont américains, australiens, jamaïcains, français, allemands, belges… Nés de parents chrétiens, juifs ou athées… Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice. Dans ce septième article de la série, nous présentons David Courtailler, ancien toxicomane devenu membre actif des réseaux jihadistes afghans en Europe. David Courtailler, alias «Daoud», et son frère cadet Jérôme, alias «Souleiman», sont, comme leur nom l'indique, des Français de souche. Fils d'un boucher-charcutier de la petite localité de La Roche-sur-Foron, près d'Annecy, en Haute-Savoie (France), leurs noms figurent sur la liste des Français convertis à l'islam qui se sont engagés dans le jihad international. Les deux frères vivaient dans un environnement arabo-musulman, et personne ne leur a mis le couteau sous la gorge pour se convertir à l'islam. Ils ont, en réalité, subi l'influence d'anciens «Afghans français», notamment Kamel Daoudi, mis en examen pour la tentative d'attentat contre l'ambassade des Etats-Unis en France, aujourd'hui incarcéré à la prison de Fresnes (Val-de-Marne, France). Jérôme, le cadet, a été arrêté à Rotterdam. Chez lui, les inspecteurs de l'AlV (les services néerlandais) ont découvert de faux papiers et une machine à fabriquer des cartes de crédit. L'aîné, David, comptable de formation, lui aussi converti à l'islam durant un séjour à Londres, figurait sur une liste de suspects transmise par la CIA, l'agence de renseignement américaine, à la DST (le service de contre-espionnage français), après les attentats d'août 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, qui avaient fait 257 morts et 5 000 blessés. Arrêté en 1999 en France à son retour d'Afghanistan, David a été interné pendant six mois, avant d'être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Son itinéraire a largement été évoqué devant le tribunal de grande instance de Paris, où il a comparu en mars 2004 pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».
Un ancien toxicomane sauvé par l'islam Au cours de son procès, ce Savoyard aujourd'hui âgé de 30 ans a condamné les attentats de Madrid. «A chaque fois qu'il y a un problème depuis le 11 septembre, on sort mon nom. Je reconnais les faits en Afghanistan, ça s'arrête là», a lancé David à ses juges. Il cru devoir souligner aussi que les attentats de «Casablanca, Madrid, le 11 septembre, ont été condamnés par les imams». Mais l'accusation n'a pas eu de mal à démontrer qu'il a fréquenté de très près les réseaux terroristes marocains et espagnols, qui ont perpétré cet attentat. Ils ont démontré aussi qu'il projetait lui-même de perpétrer des attentats en France et/ou en Europe. David «a tutoyé la ligne jaune mais ne l'a pas franchie», a plaidé son avocat Philibert Lepy. «Il était toxicomane, en recherche de quelque chose. Il s'est élevé vers la nature divine, grâce à l'islam», a-t-il ajouté, évoquant la conversion du jeune homme à l'été 1997, juste avant de partir pour le Pakistan. «Au début des années 1990, ce jeune catholique mal dans sa peau veut prendre ses distances avec la drogue. Il part en Grande-Bretagne », a écrit, de son côté, Mohamed Sifaoui, dans ‘‘Marianne'' du 6 novembre 2004. Avant d'ajouter: «L'escale de Brighton va changer son destin. Là-bas, il se lie d'amitié avec des Pakistanais qui l'initient à l'islam. Ou plus exactement à l'islamisme. Il fréquente la mosquée avec assiduité, tente d'apprendre l'arabe et se convertit officiellement à l'islam. Ses nouveaux amis le persuadent de se rendre au Pakistan et en Afghanistan. Ils lui payent le voyage, lui donnent de l'argent et des adresses. A Islamabad et à Peshawar, des ‘‘contacts'' le prennent entièrement en charge. Nourri, logé, blanchi, David Courtailler a cessé d'être un paumé. Traité en invité d'honneur, il est impressionné par la ‘‘générosité'' débordante de ses hôtes. Lesquels lui proposent d'aller suivre un entraînement paramilitaire dans les camps d'Oussama Ben Laden. Entre 1997 et 1998, Courtailler passera près de neuf mois au sein des légions d'Al-Qaida. Puis, il se rend à plusieurs reprises en Espagne. Il y rencontrera Djamel Zougam, ce Marocain qui est aujourd'hui le principal accusé dans les attentats de Madrid...». Le périple de David l'a donc conduit de Peshawar à Djalalabad, puis à Kaboul, avant de joindre le fameux camp d'entraînement Khost, où le jeune apprenti jihadiste a appris le maniement des armes. David a évoqué sa formation afghane dans une interview au ‘‘Nouvel Observateur'' (mars 2004): «Au début c'était sympa, mais après c'est devenu lassant. (...)», a-t-il dit. Et d'ajouter : «Moi, je considérais cet entraînement comme une sorte de service militaire. On apprend le maniement des armes, on s'entraîne, il n'y a rien d'extraordinaire. Je n'ai rencontré personne d'important et surtout pas Ben Laden, ni l'un de ses adjoints comme on le dit. Franchement, je ne savais pas ce qu'ils attendaient de moi. J'y suis resté quelques mois, entre septembre 1997 et avril 1998, et puis je suis rentré chez moi». A propos de la conversion soudaine de David et de ses accointances afghanes, ‘‘Le Figaro'' a reproduit, de son côté, le 31 mars 2004, cet échange entre le président du tribunal Jean-Claude Kross et jeune homme durant le procès. «Vos parents sont catholiques ? – Oui, mais je ne pratiquais pas; je trouve les églises froides et lugubres. – Pourquoi l'islam? – J'avais beaucoup de problèmes avec l'alcool et la drogue, j'avais besoin de religion. – Vous vous êtes converti et à peine trois jours plus tard on vous envoie au Pakistan avec mille livres en poche. » Un peu plus loin, le président revient à la charge : «Pourquoi Kaboul ? – Pour apprendre le Coran (…). – En réalité, vous avez reconnu que vous aviez suivi un entraînement militaire pendant six mois, notamment le maniement d'une kalachnikov, d'un Uzi ou d'un mortier. Vous vouliez faire un stage sur les explosifs mais on vous l'a refusé. – Parce que je ne parlais pas arabe. – Ce camp était sous l'autorité de Ben Laden. – C'est ce qu'on m'avait dit, mais je ne savais pas à l'époque qui était Ben Laden (…). – En somme, c'était plutôt une conversion militaire (...) C'est curieux, vous rencontrez partout des gens très importants.» Le président a cité ensuite Zoubeida, un proche de Ben Laden croisé au Pakistan, Abdullah, vétéran de Bosnie rencontré en Espagne ou encore deux autres leaders islamistes à Londres, Abou Dahah et Omar Deghayes, auquel le prévenu servira de chauffeur. Repéré par les services français dès son retour d'Afghanistan De retour en Angleterre, à Brighton, David s'est lié avec un vétéran du combat en Bosnie qui lui a donné des adresses pour être hébergé. La solidarité des frères de combat a joué à plein. Au Maroc, tout d'abord, le Français a suivi pendant quelques mois les cours d'une école coranique proche du cheikh Ahmed Yassine, un fondamentaliste religieux, leader du mouvement Al-Âdl Wal-Ihsane (Justice et Bienfaisance). Mais, la discipline lui semblant trop stricte, il a pris ensuite le chemin de l'Espagne. Là, il a été reçu chez un Syrien, lui aussi ancien combattant de Bosnie. C'est en novembre 1998 que David a rencontré, dans une mosquée de Madrid, Jamal Zougam, le suspect des attentats du 11 mars 2004 dans la capitale espagnole. La justice française, qui a repéré le jeune Savoyard dès son retour d'Afghanistan, a demandé aux Espagnols d'identifier ses contacts locaux. C'est ainsi que Zougam a été entendu, en 2001, par le juge antiterroriste espagnol José Garzon, en présence de son homologue français Jean-Louis Bruguière. Le Marocain n'ayant commis aucun délit, la justice ne pouvait rien lui reprocher. Il a donc été relâché. Arrêté le 13 septembre 2003 aux Pays-Bas, David a été accusé de s'être entraîné avec des extrémistes en Afghanistan et d'avoir organisé dans les années 1990 les stages d'autres militants islamistes dans les camps de ce pays. Le prévenu a cependant comparu libre, avec d'autres membres de la «filière afghane», devant le tribunal correctionnel de Paris, qui l'a condamné, le 26 mai 2004, à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et cinq ans de privation de droits civils et de famille. Il peut cependant s'estimer heureux de s'en être sorti physiquement indemne. Car d'autres apprentis jihadistes, comme Hervé-Djamel Loiseau présenté dans notre édition d'hier, n'ont pas eu cette chance.