La société tunisienne a subi, ces dernières années, des mutations structurelles profondes. Ainsi, de nouveaux comportements, sensibilités, attitudes, notions et mœurs ont émergé à la surface de la vie quotidienne. Ces phénomènes sociaux se font accepter de jour en jour par la population tunisienne, caractérisée par deux générations différentes, tels que les nouveaux modes et styles de vie, les nouvelles coiffures et tenues vestimentaires et les nouvelles apparences et ambitions. Est-ce l'impact de la mondialisation ? Comment comprendre ces phénomènes ? La sociologie et l'anthropologie donneront-elles des explications ? Plusieurs spécialistes et sociologues tunisiens précisent que « pour analyser et comprendre ces changements devenus une réalité dans la société tunisienne et dans d'autres sociétés voisines, il est nécessaire de remonter aux théories et travaux précédents réalisés dans ce domaine ». A partir de ce constat, la Médiathèque Charles-De -Gaulle de Tunis, a choisi l'un des acteurs et références de la sociologie et de l'anthropologie, Pierre Bourdieu (1930-2002), pour faire l'objet d'une conférence sur les mutations socioculturelles, animée par M. Mohamed Karrou, maître de conférence à l'Université Tunis-El Manar, en présence de plusieurs sociologues, chercheurs, historiens et étudiants en master d'anthropologie sociale et culturelle à l'Institut des sciences humaines de Tunis (ISHT).
Rationalité et sans préjugés vis-à-vis des phénomènes sociaux observés Le conférencier a indiqué que Bourdieu, tout en ne voulant pas être moraliste, a essayé, à travers ses travaux, de donner aux gens les instruments pour apprendre comment travailler, étudier, écouter, s'organiser, nouer des rapports au sein de la société, s'émanciper,... et il a essayé d'établir des lois, de définir des principes pour montrer comment cela se fait, comment ceci se passe comme ça,...tout en s'éloignant de tout jugement. M. Karrou a mis l'accent sur la nécessité de traiter avec rationalité et sans préjugés les phénomènes sociaux observés dans les sociétés actuelles, relevant que la famille et l'école ne constituent plus, aujourd'hui, la première cellule d'éducation pour les jeunes et que la révolution numérique a favorisé l'émergence de nouvelles relations au sein de la société et entre les peuples. Dans ce cadre, la théorie de Bordieu, a ajouté l'universitaire, se propose d'expliquer principalement, la logique de constitution des groupes sociaux à partir des modes de hiérarchisation des sociétés, les styles de vie et les luttes que se livrent ces groupes sociaux et les modalités de reproduction des hiérarchies sociales et des groupes sociaux.
Concepts clés : habitus, capital et champ Bourdieu s'est s'intéressé à la culture, l'école et la reproduction pour expliquer notamment les notions de l'ordre scolaire et l'ordre artistique. De 1980 à 1990, Bourdieu s'ouvre sur d'autres domaines comme l'économie. C'est un peu ce que vivent aujourd'hui les sociétés à travers l'ouverture sur les autres cultures et l'ouverture des marchés économiques, a souligné M. Karrou, relevant que la théorie de Bourdieu repose sur trois concepts clés, à savoir l'habitus, le capital et le champ, qui peuvent expliquer les mutations économiques, sociales et culturelles générées par la mondialisation avec ces supports : chaînes satellitaires et Internet. S'agissant de l'habitus, c'est le social qui fait corps, le social incorporé, c'est la manière d'être; l'allure générale, la tenue, la disposition d'esprit. A ce titre, M. Karrou a indiqué que pour Bourdieu, les styles de vie des individus sont le reflet de leur position sociale. Ce qui fait que dans les sociétés développées ou en développement, telle la nôtre, il y a une forte corrélation entre les manières de vivre des individus, leurs goûts et leurs dégoûts en particulier, et la place qu'ils occupent dans les hiérarchies sociales. Quant au concept de « champ », les sociétés apparaissent aujourd'hui un espace non clos. La société est comme une imbrication de champs (économique, culturel, artistique, sportif, religieux...) à l'intérieur desquels se dégage une logique propre. Par « capital », Bourdieu désigne le savoir et les ressources économiques, culturelles, sociales ou symboliques que l'on acquiert à l'école, au sein de la famille et à la société. Pour le cas de la société tunisienne, ces trois concepts sont perçus de jour en jour au point qu'on parle aujourd'hui d'accélération de phénomènes sociaux ou société tunisienne phénoménale. Le jeu de mots demeure, en ce moment, pas important tant que ces phénomènes ne génèrent pas davantage de recul des valeurs chez les jeunes, une question devenue parmi les préoccupations majeures chez d'autres sociétés.