L'hyper-présidence de Nicolas Sarkozy brasse large, comme on l'a vu. Il n'est guère de domaine sur lequel le Chef de l'Etat français ne fût intervenu, et parfois, avec véhémence. Une nouvelle façon de faire de la politique ; quelque chose de très napoléonien, tendant à replacer la France dans l'épicentre des mouvances de ce siècle et, pourquoi pas, à lui faire recouvrer ce rôle « d'arbitre » qui fut sien du temps de De Gaulle. Mais, le président français vient de s'aventurer sur le terrain mouvant de l'éternel conflit entre la morale religieuse et la morale laïque. Les propos tenus à Ryadh et à Rome, il y a quelques jours, ont choqué. A l'heure où, au nom d'un Dieu, le leur, les intégristes de tous bords, imputent les dérives de l'humanité à la négation de Dieu, voilà que Sarkozy les conforte, en filigrane, dans leur logique obscurantiste. Un Chef d'Etat, un président garant de la laïcité des institutions françaises et qui partait, il y a quelques années, encore en guerre contre le port du voile à l'école au nom, justement, des valeurs laïques de la République, ne serait pas très inspiré d'affirmer que la France est catholique, d'étaler ses convictions religieuses comme il étale sa vie privée. La morale laïque est-elle inférieure à la morale religieuse ? Sarkozy balbutie. Car, il y va autant de la neutralité de l'Etat que du rapport « individuel » de l'homme avec son Dieu, et chacun avec son Dieu à lui. Nous n'en finissions pas de recoudre avec le choc des religions, que Sarkozy remet au goût du jour le choc des morales. Et, alors, dans ce cas, reprocherait-on au président iranien de mener la guerre du nucléaire au nom de la religion ? Mais là, où c'est , quand même, dangereux, c'est lorsque le président français, affirme au dîner annuel du CRIF*, qu'il « ne rencontrerait pas, ne serrerait pas la main de gens qui refusent de reconnaître l'Etat d'Israël ». Il a, parfaitement, le droit de se déclarer l'ami d'Israël. Mais, ce serait simpliste que de croire que ses propos visaient Ahmedinejad. Et, dans cette ferveur « Bengourienne », Sarkozy propose que chaque élève de CM2 se voie confier, à partir de la rentrée scolaire 2008, la mémoire de l'un des 11000 enfants juifs victimes des camps nazis. Il ajoute, aussi, que l'anti-sémitisme doit être combattu dès l'école. En fait, c'est un très mauvais service qu'il rend à l'Etat hébreu. Un Juif, Jean Daniel, a écrit un livre édifiant intitulé : « La prison juive »** où il impute les maux des juifs à leur incapacité à se considérer autrement que le « Peuple élu » ; à relier l' « Election » et la « Transcendance » à la Shoah. Sarkozy, leur redonne du grain à mouler. Et si, effectivement, il ne serrera pas la main à ceux qui ne reconnaissent pas Israël, il en serrera très peu dans son projet « euro-méditerranéen ». Est-il disposé à serrer la main au père de Mohamed Eddorra ? Imposera-t-il aux écoliers de CM2 de porter la mémoire des enfants massacrés de Sabra et Chatila ? Ira-t-il demander pardon aux familles des victimes des bombardements français de Port Saïd ? Et, pourtant, Moshé Dayan disait qu'il « se sentait autant le père des enfants israéliens que ceux palestiniens ». Mentait-il ? Il l'a dit, en tout cas. Golda Mayer, elle, disait : « Nous vous pardonnerons, peut-être, un jour, de tuer nos enfants, mais nous ne vous pardonnerons pas de nous avoir mis dans l'obligation de tuer les vôtres ». Bonne conscience. Mais, au moins, ils parlent de victimes de part et d'autre. Et pas uniquement des enfants de la Shoah, comme l'a fait Sarkozy, dans ce malheureux dérapage. Et, à la fin des fins, que ferait M. Sarkozy si le Chef de l'Etat hébreu serrait la main aux Chefs d'Etats arabes et sans exception ? Raouf KHALSI
*Le Conseil représentatif des institutions juives de France **Le livre de Jean Daniel : « La prison juive »