La saturation du secteur de l'oléifacture aurait atteint la cote d'alerte, croit-on savoir dans le milieu des oléifacteurs, ce qui devrait interpeller toutes les parties prenantes avant que la situation ne devienne irrémédiable, car il y va de l'avenir, non pas uniquement des transformateurs mais également et surtout des agriculteurs. Un regard rétrospectif sur la situation dans le secteur de l'oléiculture nous permet de nous rendre compte de l'accroissement exponentiel du nombre d'huileries depuis quelques décennies à tel point qu'on parle actuellement de saturation. Car à la faveur de la liberté d'investissement, ces huileries se sont implantées partout et même dans des zones ou des localités où elles n'existaient pas. Elles foisonneraient dans des régions comme celles de Kairouan, Zarzis, Sidi Bouzid ainsi qu'au Sahel et au Nord. Pour ce qui est de région de Sfax, leur nombre avoisine, aujourd'hui les 375. D'ailleurs, nos interlocuteurs font remarquer que ces chiffres sont en-deçà de la vérité dans la mesure où les huileries modernes sont dotées de chaînes de transformation dont la capacité équivaut à quatre fois celle d'une unité traditionnelle, sachant que les broyeurs dont sont équipées les premières citées ont une capacité de 100 tonnes/ jour contre 25 tonnes pour les broyeurs de la seconde catégorie. Auparavant, ces unités de transformation tournaient à plein régime et la saison pouvait s'étaler jusqu'au mois de mai, voire juin et même, quelque fois, au-delà, tout simplement parce que l'offre de la production était supérieure à la demande en matière de transformation. De nos jours, la campagne oléicole dépasse rarement le mois de février. S'il est vrai que le raccourcissement actuel de la période de la récolte est garante de qualité, il n'en est pas moins vrai qu'elle porte préjudice aux oléifacteurs. En effet, la production d'olives étant largement inférieure à la capacité de trituration des huileries, cela se répercute inévitablement sur la durée de la campagne donc sur les quantités transformées et par là-même sur les recettes des propriétaires ou locataires des huileries. Les retombées sont d'autant plus lourdes de conséquences qu'elles sont génératrices de déséquilibres financiers à répétition chez ces oléifacteurs dont la plupart croulent sous le poids des dettes et que les cours des olives atteignent des seuils déraisonnables sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs. En effet, par la force des choses, et pour avoir des réserves de sécurité en cas de pénurie, en cours de campagne, les oléifacteurs font, à l'avant-saison, des achats sur pied contribuant, à alimenter la surenchère et à faire monter les prix, à leur corps défendant , pour la simple raison qu'ils ne peuvent qu'adopter une démarche spéculative en l'absence de données fiables, de prévisions crédibles et de documents de référence. A ce facteur s'ajoute la concurrence à laquelle se livrent « aveuglément », les oléifacteurs, au marché de Gremda, surtout que le portable permet à l'agriculteur de suivre de près l'évolution des prix. « Conséquence prévisible de ce chaos : sous l'effet du cumul des dettes, une « sélection naturelle » s'opérera qui éliminera les plus faibles parmi ces oléifacteurs lesquels finiront tôt ou tard par céder leurs huileries au profit des plus puissants, ce qui conduira en fin de parcours à une concentration de capitaux et d'unités de transformation entre les mains de cette minorité et lui permettra de tirer les ficelles et d'imposer sa loi. La première victime en sera l'agriculteur lui-même, ce qui, par ricochet, risquera de mettre en danger l'avenir du secteur de l'oléiculture dans son ensemble. », prévient un ancien oléifacteur qui poursuit : « Le seul avantage du foisonnement actuel des unités de transformation est la qualité du produit, du fait de la célérité avec laquelle se fait la trituration, mais ça s'arrête là. » L'une des sources principales dudit chaos est le nouveau statut de l'ONH : « Révolus les temps bénis où l'Office de l'Huile jouait pleinement son rôle de régulateur. Au début de chaque nouvelle campagne, il publiait un tableau d'avance fixant les tarifs en fonction du taux de rentabilité lequel tableau servait de référence pour les différents intervenants, et plus particulièrement les acheteurs de la récolte sur pied. L'oléifacteur n'avait qu'à mettre à bon escient sa technicité et surtout ses compétences et son expérience en matière d'estimation du taux de rentabilité des olives qu'on lui propose, pour déterminer son offre de prix et éviter toute mauvaise surprise. », regrette un professionnel. Comment éviter les effets de la surenchère et de la spéculation ? Soit rétablir l'ONH dans sa fonction de régulateur des prix soit mettre en place une bourse de l'huile d'olive. L'avantage de cette dernière proposition est, dit-on, la meilleure garantie contre les effets des fluctuations voire des soubresauts du marché de l'huile tant à l'échelle nationale, qu'à l'échelle internationale. C'est même une nécessité vitale pour le secteur tout entier étant donné l'intervention de pas moins de quatre acteurs, à savoir, l'agriculteur, l'intermédiaire, l'acheteur de la récolte sur pied et l'oléifacteur, tous actuellement désorientés, voire désemparés faute de guide crédible : « D'ailleurs, l'absence de pareil guide, favorise l'émergence d'une nouvelle race de promoteurs de l'intox qui diffusent des informations bien calculées, prétendument puisées dans l'Internet et peuvent donner de mauvaises orientations aux campagnes oléicoles. », ajoute notre interlocuteur. Il serait opportun, en parlant du secteur de l'oléiculture, d'attirer l'attention sur l'extinction de la race des élagueurs qualifiés. En effet, à la fin de chaque campagne, des gens sans la moindre qualification et sans la moindre expérience s'improvisent élagueurs et proposent leurs services aux agriculteurs dont bon nombre n'ont aucun lien avec l'agriculture si ce n'est qu'ils sont les héritiers d'oliveraies, parfois immenses. Loin d'être des connaisseurs, ces propriétaires confient la taille de fin de saison à ces sortes de « charlatans » qui font des ravages, massacrent, mutilent et défigurent les arbres tout en se faisant payer au prix fort. Conclusion : si les critiques abondent, si les griefs se multiplient, c'est que les intervenants vivent un certain malaise et que le secteur a besoin d'une meilleure organisation, de mesures claires, rationnelles et appropriées parce que le flou ne profite à personne surtout pas à l'agriculteur, maillon le plus faible et le plus fragile de la chaîne mais gardien de notre immense et précieux patrimoine qu'est l'or vert.