Regardées avec une certaine méfiance, au lendemain de l'indépendance, les coutumes rattachées au patrimoine religieux en Tunisie, ont été, vite, récupérées et sont devenues, aujourd'hui, des festivals et des manifestations participant, activement, à l'animation de la vie spirituelle et culturelle du pays. Dans la capitale Tunis, le mausolée de Sidi Abou Hassen Chadli, sur le mont El Jallaz, à la sortie sud de la ville, offre, en été, à une bonne tranche des habitants, un espace de prédilection pour se ressourcer, en venant visiter ce fameux sanctuaire et assister aux soirées de chants liturgiques et de danses rituelles qui y sont, régulièrement, organisés, durant la saison estivale.
De la première semaine de juin à la fin du mois d'août, soit durant quatorze semaines, les confréries religieuses du Grand Tunis ont pris l'habitude de se produire, à tour de rôle, notamment le jeudi, dans la grande cour du mausolée, en donnant des concerts de chants liturgiques émaillés de danses rituelles dont la forme et le contenu varient, selon chaque confrérie. La foule des spectateurs, constituée souvent des mêmes visiteurs, tâche de n'en rater aucun. L'exaltation est à l'extrême et confine par moments aux transes. Rythmés et cadencés de bout en bout, les spectacles charment les sens et transportent l'âme. La jouissance procurée par ces cérémonies rituelles que les grands maîtres du Soufisme islamique, comme l'égyptien Amor Ibn Al Faredh (mort en 1235), comparent littéralement à l'ivresse et au plaisir procuré par le vin, se poursuit, tard dans la nuit, par des prières et des invocations rythmées et cadencées, dans la grotte du mausolée où le premier maître des lieux et initiateur du mouvement, le grand saint de l'Islam, Sidi Abou Hassen Chadli (mort en Haute Egypte en 1256), se retirait, de son vivant, pour méditer.
La Zerda Dans plusieurs autres villes et villages de la Tunisie, ces manifestations associées au culte des saints et à l'adoration de la divinité, qu'on rencontre dans toutes les cultures et les civilisations, depuis des temps immémoriaux, ont pris l'allure de festivals locaux, dont le moment fort est une procession bruyante, à la manière des anciennes bacchanales grecques, couronnées par un grand festin collectif appelé '' zerda''. D'ailleurs, le cycle des visites estivales rendues au mausolée de Sidi Abou Hassen Chadli, démarre, chaque année, au début du mois de juin, dans la localité de Mornaguia, à une dizaine de kilomètres, à l'ouest de Tunis, par une procession en l'honneur du saint de cette localité, Sidi Ali Al Hattab (le bûcheron), l'un des quarante compagnons attitrés de Sidi Abou Hassen Chadli, lors de son séjour à Tunis, et qui formèrent le premier noyau de la grande Confrérie de la Chadlyia. Le cycle se termine début septembre par deux processions successives, l'une dédiée à Sidi Chérif (16 ème siècle), le saint de la ville de la Goulette, dans la banlieue nord de Tunis, et l'autre, la dernière est dédiée à Sidi Bou Said (mort aux alentours de 1230), le saint de la ville qui porte son nom, et située , entre la Goulette et la Marsa, sur un mont appelé, autrefois, le mont de la grotte, d'après une grotte sacrée servant, elle aussi, de retraite aux ascètes.
Allures de pèlerinage Un festival local est, également, organisé, chaque été, à Carthage, en l'honneur du saint Abou Yacoub Youssef Essayed ( le pêcheur), un des compagnons de Sidi Bou Saîd, dont le mausolée se trouve sur le mont Byrsa, face à celui d'un saint connu de la même génération, Sidi Abdelaziz Mehdoui ou Mâalgui, du nom de Mâalgua porté, jusqu'à présent , par cet endroit. Une grande procession d'inspiration africaine, initiée, à l'origine, par la communauté noire de Tunisie, et transformée, aujourd'hui , en un festival régional, est célébrée, au mois d'août, dans la ville de Metlaoui, à Gafsa, dans le Sud tunisien, en l'honneur du saint d'origine africaine, Sidi Marzoug Al Ajmi, enterré, à Nefta, dans le Jérid, avec la participation des troupes de chants et de musique stambalis, de tout le pays, dont celle des frères Chouchène, responsables attitrés de la manifestation. Annoncée, à chaque fois, à cor et à cri, sur les places des marchés et les journaux, une Zerda typique est, également, organisée, annuellement, en été, à Fériana, dans le gouvernorat de Kasserine, au Nord Ouest, en l'honneur du saint Sidi Télil et constitue un véritable pèlerinage, auquel participent, en particulier, les familles issues de ce saint et disséminées un peu partout en Tunisie et en Algérie. Logés dans des tentes dressées, à l'occasion, près du mausolée du saint, construit par un de ses descendants, au 18ème siècle, les pèlerins, des deux sexes, vêtus d'habits neufs, procèdent à l'immolation de moutons utilisés pour la préparation de festins familiaux, au milieu de cris de joie et de processions rituelles, agrémentées, entre autres, d'exercices équestres, dans une ambiance faite pour être propice aux effusions ''purificatrices'' recherchées par ces manifestations.