La récurrence de la fameuse matière grise des Tunisiens rebondit en ces temps de crise d'idées. Voilà que les pays arabes friqués nous envient paradoxalement notre manque de ressources pétrolières. Quant à nos voisins algériens et libyens - auxquels nous avons toujours rendu de fiers services sans qu'ils ne nous renvoient promptement l'ascenseur - ils en sont à comptabiliser les secteurs négligés, donnés en offrandes à "dieu-le-pétrole". Bourguiba avait incrusté dans la psychologie des Tunisiens le pouvoir intarissable de la matière grise et ses vertus miraculeuses, entre autres par dédain à l'endroit de ce qu'il appelait "les féodalités pétrolières". Produit lui-même d'une jeune nation qui a misé sur l'enseignement et la formation des cadres, Ben Ali s'est assigné pour objectif essentiel de renforcer et de diversifier les filières du supérieur, de développer l'économie du savoir et d'endiguer la fuite des cerveaux. L'économie tunisienne est une économie plurielle et réelle. Elle reste encore une économie d'endettement, mais sa solvabilité réside dans la capitalisation du travail et de l'innovation dans les secteurs pointus. Bien sûr, la recherche scientifique n'a pas encore les moyens de sa politique, mais on y arrivera. Si Didon avait dessiné les contours de Carthage un peu plus à l'ouest ou un peu plus au sud ouest, nous serions peut-être un peuple qui rechigne à la besogne, ou alors carrément fainéant, ne ressentant guère le besoin de la création des richesses. Nos gouvernants troqueraient alors notre pétrole contre les importations asiatiques. Nous ne produirions pas de blé, ni d'huile d'olive, ni de tomates. Nous n'aurions pas besoin d'industrie et encore moins de textile - habillement. Les dollars de la rente pétrolière auraient luxueusement "moisi" dans les banques américaines - ou autres - sous couvert de fonds souverains, mais que nous aurions eu peu de chances de récupérer avec la crise actuelle. Alors que tout s'agite autour de nous, les Tunisiens, nous dit-on, n'ont pas d'inquiétudes à se faire pour leur épargne et, qu'a priori, la crise de l'immobilier ne parviendra pas jusque chez nous. Ce qui est sûr c'est que la crise financière n'étrillera pas les bastions classiques de l'économie réelle : l'immobilier porte en lui-même les solutions à sa propre crise et il renouera avec sa gymnastique de prédilection : tirer l'économie vers le haut. Cela dit, la Tunisie n'est pas une île coupée du monde. Des incidences indirectes finiront bien par toucher certains secteurs-clés. Nous y sommes bien préparés, nous dit-on encore. Car, la nôtre reste une économie modérément libérale et pas outrancièrement dirigiste. Il y a néanmoins à clarifier quelques points. Le discours officiel dit que nous sommes loin de la zone rouge ; sur un niveau officieux, on se veut raisonnablement alarmiste. Du coup, nous ne ferons pas de sorties sur les marchés étrangers et nous louons la providence de ce que les capitaux étrangers n'aient pas trop afflué sur nos marchés, ce que nous déplorions pourtant il y a quelque temps... Nous nous consolerons finalement que Dieu nous ait épargné la damnation du pétrole.