Nous ne faisons pas du contexte un prétexte. Mais le déchaînement des sifflets au Stade de France, au-delà de ses soubassements socio-politiques, soulève une question d'ordre général : les supporters peuvent-ils être encadrés. Comment ? Par quel moyen ? On a bien vu que les supporters ne reculent devant rien. Lorsqu'on siffle l'hymne national d'un pays ou que l'on bafoue des valeurs de sacralité, cela veut tout simplement dire que le football cesse d'être un sport, renonce à sa vocation ludique, condamné qu'il est à véhiculer une irrépressible purgation des passions. On en fait un égout où l'on déverse sa saleté (comme dirait Brel). Peut-on prévoir les réactions ou du moins les épanchements des foules ? Les réactions et les mesures décrétées par les autorités françaises – mesures logiques et même légitimes – montrent, néanmoins, que les interventions ne peuvent se faire qu'a posteriori, et, par ricochet, il y a un aveu indirect : on ne peut pas, matériellement, prévoir les réactions ou les sautes d'humeur de la foule. Ces débordements gagnent en ampleur si leurs effets sont politisés. Et à plus forte raison, comme cela s'est produit pour France-Tunisie, lorsqu'on spécule sur leur imminence avec le conditionnement qui va avec. A force de mettre en garde contre ces sifflets, on a fini pour les « invoquer » pour ainsi dire. Et, dans une certaine mesure, on les a institutionnalisés et, donc, banalisés. Aucun peuple n'aimerait entendre siffler ou huer son hymne national. Nous serions sortis de nos gonds, nous aurions conspué les « fantasmes post-colonialistes » si notre hymne national avait été sifflé, à Radès, par des Français. La chose prendrait donc, inévitablement, une sérieuse tournure politique. Et, c'est peut-être là le nœud gordien : football et politique font-ils bon ménage ? On dit que le football est fait pour être instrumentalisé et pour être récupéré. C'est une logique disposition des choses, disent les sociologues. Un match de football a bien provoqué une guerre dans les règles entre deux pays d'Amérique Latine. C'est grâce à la Coupe du monde 78, qu'aidé par Washington, Pinochet s'est refait une virginité « humaniste » pour un régime vomi par les Démocraties. En Tunisie, la qualification pour ce Mondial avait retardé l'explosion sociale qui se produisit finalement en janvier 78. Elle fut, donc, tempérée grâce à une espèce de trêve sociale au centre de laquelle figurait Attouga and co. Jusqu'à quelle mesure la politique pourrait-elle apporter des réponses aux débordements violents du football ? En cette époque de recrudescence des nationalismes et du régionalisme, l'action préventive reste limitée. En revanche, les mesures dissuasives sont renforcées par les nouvelles technologies de quadrillage dans (et en dehors) des stades. Mais ce qui est sûr, c'est que la morale sportive primaire a fait son temps. Comme ces Comités des supporters tout juste grommelants de chez nous.