Depuis quelques mois, il ne se passe pas un jour sans que l'on entende parler d'un attentat perpétré par les talibans ou d'une riposte parfois de la coalition internationale en Afghanistan, des forces afghanes ou, plus récemment, de l'armée pakistanaise. La situation sur le terrain s'est dégradée à tel point que l'Afghanistan est en passe de supplanter l'Irak dans les priorités du Pentagone. Juste après la riposte des Etats-Unis aux attentats du 11 septembre, l'élimination du régime des talibans et l'installation du gouvernement de Hamid Karzaï, on a cru que ce pays s'est stabilisé après deux décennies de guerre mais en vain, l'évolution sur le terrain a beaucoup changé la donne. Quoiqu'à la tête d'un gouvernement élu pour gouverner sur tout le territoire, le régime de Karzaï n'en contrôle réellement qu'une partie et notamment Kaboul. Les ethnies minoritaires telles que les Tadjiks et les Hazaras ont perdu beaucoup de leur poids et les anciens chefs de guerre de l'époque de la lutte contre l'invasion soviétique (Borhaneddine Rabbani, Gulbuddine Hekmatyar...), ont, soit rejoint le gouvernement, soit resté dans la lutte armée, mais sans donner de vrais soucis à la coalition internationale. Il ne reste que les Talibans, mouvement d'obédience islamiste rigoureuse et dont la plupart de ses membres appartiennent à l'ethnie majoritaire des Pachtounes (60% de la population afghane) qui occupe essentiellement le sud du pays jusqu'à la frontière avec le Pakistan (la région du Waziristan). D'ailleurs, l'ex-Roi, Dhaher Shah et l'actuel Président Karzaï, sont Pachtounes. Il est vrai que cette ethnie, comme d'ailleurs la majorité du pays, est transcendée par la pensée rigoriste doublée de traditions tribales très conservatrices (les crimes de sang, le port du burkaa par les femmes...) La guerre contre les Soviets dans les années 80 a été aussi un prétexte pour enraciner l'endoctrinement religieux par la propagation des théories de Mawdoudi et autres extrémistes religieux du courant du Djihad venus essentiellement du Moyen-Orient à travers " l'exportation " par les services secrets de figures connues de ce courant (Abdallah Azzam, Dhawahiri et surtout Ben Laden, l'argentier du courant). On a créé déjà toutes les conditions pour renforcer un courant extrémiste afin de chasser les Soviétiques " infidèles ", mais les événements qui ont suivi, notamment la guerre du Golfe, ont rendu incontrôlable ce courant par ces mentors. Cette coalition objective entre les Talibans et ces nouveaux venus réunis par la suite dans Al Qaïda, est devenue difficile à déraciner tant qu'il s'agit d'une tribu au sens " khaldounien " du terme porté par un idéal " religieux ". Le gouvernement de Kaboul et la coalition internationale ont actuellement une marge de manœuvre réduite : continuer une guerre qui s'avère vaine ou trouver un compromis qui réinstallerait ce mouvement au pouvoir, chose contraire à l'objectif initial de l'intervention alliée de 2001. Il ne faut pas également s'attendre à une aide décisive de la part du Pakistan tant que l'Afghanistan est pour Islamabad un " problème secondaire " comparé avec la rivalité historique et stratégique avec l'Inde, d'une part, et que d'autre part, et selon des experts de la région, un gouvernement taliban à Kaboul ne saurait inquiéter outre mesure Islamabad. Les Talibans sont en définitive un " produit " conçu dans les " madressas " à Peshawar. L'ex-Premier ministre, feue Benazir Bhutto et son ministre de l'Intérieur, le Général Babar, n'ont-ils pas été pour beaucoup dans la prise de Kaboul par le Mollah Omar au milieu des années 90. A moins qu'émerge un nouveau chef pachtoune qui saurait tenir cette frange essentielle de la population afghane et qui serait idéologiquement anti-taliban, la situation resterait toujours chaotique pour l'alliance internationale. Mais ce " vœu " n'est pas, du moins pour le moment, réalisable. La sortie du bourbier afghan ne semble pas pour demain pour les Etats-Unis et leurs alliés.