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Le chômage des diplômés
Tribune
Publié dans Le Temps le 12 - 12 - 2008

La Tunisie avait misé depuis son indépendance sur l'éducation et l'instruction de ses jeunes, beaucoup plus que la plupart des pays comparables. L'obtention d'un diplôme du supérieur était le couronnement ultime du parcours éducatif et constituait, dans un passé proche, la garantie d'un emploi stable et d'un bon statut social.
Avec le temps les choses se sont pratiquement inversées à tel point qu'il est actuellement plus facile de trouver du travail à un chômeur non diplômé qu'à un diplômé ! comment en est-on arrivé là? C'est la question que se pose tout le monde et en premier lieu le gouvernement qui a commencé par dresser un état des lieux avec une étude qui a été réalisée conjointement par le ministère de l'emploi et la banque mondiale, sur les possibilités d'insertion des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur dans le monde du travail selon le type de diplôme décroché et la discipline étudiée. Cette étude réalisée à partir d'un échantillon de 4763 diplômés de l'année 2004 (parmi un effectif total de 39052) aboutit à un constat pour le moins inquiétant.
En effet, 18 mois après l'obtention du diplôme, 46% des jeunes diplômés se trouvaient encore au chômage. Aucune catégorie de diplômés n'est épargnée mais ce sont les techniciens supérieurs et les maîtrisards des « disciplines du tertiaire » (gestion, finance, droit) qui sont les plus exposés au chômage (50%). Ce taux atteignant 68% pour les diplômés des sciences juridiques ! Or ces deux dernières catégories représentent à elles seules 90 % de l'effectif des diplômés.
Pour les auteurs du rapport, le taux de chômage parmi les jeunes diplômés aurait été plus élevé encore sans les différents dispositifs d'aide à l'insertion dans le monde du travail (SIVP)dont ont bénéficié 16% d'entre eux, et sans la poursuite ou la reprise des études pour d'autres (13%). Le gros du contingent de ceux qui choisissent de poursuivre leurs études étant précisément recruté dans les filières les plus exposées au chômage. Car, pour 39% de ceux-ci, l'inscription en troisième cycle demeure destinée avant tout à contourner le chômage.
A l'inverse, ce sont les diplômes d'ingénieurs qui s'avèrent les moins exposés au chômage (seulement 18%). Même si, parmi les filières techniques, le groupe de spécialités liées à l'agriculture et l'agronomie présente les taux de chômage les plus élevés (70% des techniciens supérieurs et 31% des ingénieurs).
Mais au-delà du chômage qui représente évidemment l'état de précarité extrême, cette étude s'est intéressée également aux trajectoires d'insertion professionnelle des diplômés qui avaient eu la chance de trouver un emploi, et là non plus ce n'est pas très rassurant. En effet le déclassement professionnel (emplois sous qualifiés par rapport au niveau de compétence) sévit dans 10 à 80% des cas et intéresse en premier lieu les filières les plus exposées au chômage, soit 43% des maîtrisards et 35% des techniciens contre seulement 10% des ingénieurs. Le décalage (emploi sans rapport avec la spécialité étudiée) quoique plus rare, intéresse tout de même 33% des techniciens et 15% des maîtrisards.
L'analyse des parcours professionnels montre que la stabilisation dans l'emploi ne concerne que le cinquième des diplômés ! Et concerne principalement les enseignants et un peu moins les ingénieurs. Le secteur public, employeur traditionnel des diplômés du supérieur dans le passé, reste encore avec 52% des emplois salariés le principal débouché. Le secteur privé fournit 48% des emplois mais dont la moitié sont conclus sous contrats à durée déterminée et 23% sans contrat du tout, d'où une précarité certaine.
A la lumière de ces résultats, le rapport fait, logiquement, le constat de « déséquilibres de plus en plus forts entre l'offre de compétences provenant des diplômés du supérieur et les besoins actuels et à court terme de l'économie » et souligne « le poids très structurant du diplôme sur les parcours d'insertion des jeunes diplômés », les ingénieurs, les architectes et les techniciens supérieurs (ISET) ayant plus de chances d'échapper au chômage que les maîtrisards. Et de conclure qu'à ce rythme là, « au cours des prochaines années il faut s'attendre à des effectifs de plus en plus importants des sans emploi diplômés du supérieur et un allongement des délais d'attente avant l'insertion en emploi ».
Cependant ce rapport nous laisse sur notre faim quant aux véritables causes de ce fléau et encore plus quant aux solutions éventuelles pour l'endiguer.
Concernant les causes, s'agit-il d'un excès de « production » des diplômés ? Ou d'un problème de qualité de formation, aboutissant à des diplômés à faible employabilité ? Ou plutôt d'une faiblesse de l'économie tunisienne qui ne génère pas assez d'emplois pour ses diplômés ? A mon humble avis, il y a malheureusement un peu des trois...
1/ l'excès de « production » des diplômés ; il est difficile de fixer des limites chiffrées de la cadence idéale de la formation universitaire, il n'y a que des impressions mais qui sont guidées par le bon sens. Le nombre des diplômés du supérieur est passé de 24600 en 2001 (et c'était déjà trop) à 52300 en 2006, soit une croissance annuelle de 16.35%, alors que la croissance annuelle du PIB de la Tunisie peine à atteindre les 5%. J'ignore si le rapport entre ces deux indicateurs est parfaitement linéaire, mais tout de même, c'est bien la croissance du PIB qui témoigne globalement du dynamisme de l'économie et de sa capacité à créer des emplois. Il me semble bien que la dernière décennie ait vu une formation excessive (je dirais même artificielle) de diplômés de l'enseignement supérieur.
2/ doutes sur la qualité de l'enseignement supérieur qui produirait des diplômés à faible employabilité. Les chiffres que nous fournit le rapport parlent d'eux-mêmes. Parmi l'effectif de nos diplômés il y a 0.19% d'architectes dont 9% seulement sont au chômage, 4.2% d'ingénieurs dont 18% seulement sont au chômage, mais 33% de techniciens supérieurs et 57% de maîtrisards dont 50 à 70% sont au chômage ! On voit bien donc que l'excès de formation universitaire de la dernière décennie ne s'est pas fait dans les disciplines demandées par le marché du travail (bien qu'elles soient elles aussi en sureffectif relativement à leurs capacités d'accueil), mais dans des disciplines peu employables. En fait, devant l'afflux massif de bacheliers on a probablement fait un choix de facilité. Car il est beaucoup plus difficile de créer des écoles d'ingénieurs (locaux spécialement aménagés et coûteux, enseignants très qualifiés et tout aussi coûteux...), alors que pour les maîtrises n'importe quel local fait l'affaire, quelques bancs, des enseignants contractuels sous payés (eux mêmes victimes du système !) et le tour est joué. C'est comme ça qu'on a vu fleurir des instituts en tout genre, Institut des langues appliquées au tourisme, Institut des langues appliquées au multimédia, Ecole supérieure de commerce électronique, Institut supérieur de promotion des handicapés, Institut supérieur d'histoire du mouvement national et j'en passe et des meilleures... alors que tout le monde se demandait sur ce qu'on pouvait faire de ces diplômés, qui en fin de compte n'avaient pas vraiment de compétences particulières. Ceci a entraîné une « inflation » de diplômés et automatiquement une dévaluation des diplômes tunisiens !
A mon avis le vrai problème se situe en amont, bien avant le bac. La Tunisie a été « piégée » par ses choix des deux dernières décennies concernant l'enseignement secondaire, en privilégiant la filière longue aux dépens des filières professionnelles qui ont pratiquement disparu de la circulation ! ajouté à cela une extrême clémence dans le passage des classes (et même à l'épreuve du bac), et c'est tout logiquement qu'on s'est retrouvé avec un effectif colossal de bacheliers, qui aspirent tous à l'enseignement supérieur. Or les capacités réelles d'accueil de notre université ne permettent pas de satisfaire cette demande d'où la création des instituts « bidons » sus-cités, véritables fabriques à chômeurs...
Il faut dire que la mentalité des Tunisiens se prêtait bien à ce jeu là. En effet, l'enseignement secondaire professionnel a toujours été mal perçu par les Tunisiens qui le considéraient comme la filière des cancres en échec scolaire. Les autorités leur ont donné encore raison en privilégiant la filière longue, alors qu'il aurait fallu au contraire promouvoir la filière professionnelle par un travail, certes difficile, de persuasion et d'accompagnement. Il fallait donc s'attaquer aux mentalités, car il n'y a pas une filière meilleure qu'une autre dans l'absolu. La filière longue n'est pas la panacée comme la filière professionnelle ne doit pas être péjorative et réservée aux cancres. Le meilleur système éducatif n'est pas forcément celui qui amène tous les élèves au bac puis à l'enseignement supérieur, car l'enseignement n'est pas un but en soi, ce n'est qu'un moyen, le but ultime étant l'emploi et l'insertion socioprofessionnelle. Le meilleur système éducatif c'est celui qui atteint le but de l'emploi pour la majorité des jeunes en accompagnant chacun d'entre eux dans ses limites intellectuelles et physiques, dans ses fluctuations, dans ses aspirations et ambitions...en laissant le moins de candidats possible au bord de la route. Un élève qui a du mal à suivre et à assimiler l'enseignement théorique de la filière longue, qui fait preuve d'une aptitude particulière pour l'enseignement professionnel pratique ou qui s'ennuie trop à l'école et qu'on sait qu'il n'y restera pas longtemps, cet élève aura tout à gagner à être orienté très tôt vers la filière professionnelle, qui si elle est de bonne qualité, en fera au bout de 3 à 4 ans un bon professionnel rapidement opérationnel et aux ambitions raisonnables et adaptées à son environnement. Si, au contraire, on l'oriente vers la filière longue et qu'on le pousse artificiellement jusqu'au bac à coup de rachats, puis on le sort éventuellement de son milieu vers une grande ville, qu'on le pousse de la même manière jusqu'au diplôme universitaire délivré par un institut bidon, tout en le nourrissant de faux espoirs, on en fera en fin de compte un chômeur inemployable qui va grossir le nombre des habitués des cafés, de plus en plus nombreux, de nos grandes villes, tout en ruminant sa frustration et son amertume. C'est ainsi qu'on aboutit à des situations aberrantes où on a du mal à trouver un plombier de quartier, un électricien ou un mécanicien bien formé et compétent, alors que l'université déverse des flots de diplômés sans compétences particulières dont la moitié, au moins, restera au chômage !
3/l'incapacité de l'économie tunisienne à créer assez d'emploi pour ses diplômés : bien que les performances macro-économiques de la Tunisie soient globalement honorables, il est clair qu'elles sont insuffisantes pour créer assez d'emploi pour tous ses diplômés. Le diagnostic établi à l'occasion de la consultation nationale sur l'emploi apporte quelques éclaircissements à ce sujet et propose des pistes de réflexion. Pour les experts, et particulièrement dans la relation entreprise, croissance et emploi, il existe un problème d'évaluation de l'effort et de sa rémunération d'où le manque de clarté et une faiblesse d'identification et d'exploitation des compétences et des talents. Un indicateur de taille, pour lequel, d'ailleurs, la Tunisie a été mal notée dans le dernier rapport de Davos 2009 (103ème place). Plus encore, les experts ont relevé un autre maillon faible : une absence ou presque de l'esprit d'initiative et une idée dominante notamment chez les jeunes diplômés du supérieur, que le seul garant de la pérennité de l'emploi, c'est le secteur public. Les experts notent aussi une défaillance au niveau de l'environnement des affaires très peu encourageant pour le recrutement, en général et le recrutement des diplômés du supérieur, en particulier. Car, eu égard à la méthode de calcul des charges sociales, les chefs d'entreprises optent plutôt pour l'importation des produits dont la fabrication exige des compétences particulières que pour le recrutement. Ceci étant favorisé et facilité par la disparition des barrières douanières qu'entraîne la mondialisation de l'économie. Autrement dit, les PME craignent l'engagement dans des activités à haute valeur ajoutée et préfèrent ne pas s'y aventurer, sachant que ce type d'activité est à forte employabilité, notamment des diplômés du supérieur, qui sont à même d'apporter le "plus" à l'entreprise.
Les experts notent aussi le manque d'investissements, d'IDE, d'identification des opportunités notamment sur le marché local, mais encore les limites des exportations tunisiennes, basées sur sept produits et quatre destinations majoritaires. A cela s'ajoute, le coût trop élevé du financement bancaire des projets qui atteint les 9% par an, contre 4%, en Europe et uniquement 2% au Japon.
Autre raison non moins importante et qui nécessite une réflexion profonde, l'interdépendance des rôles de l'Etat, d'une part, en tant que régulateur et en tant que pouvoir d'orientation des politiques économiques, et d'autre part en tant que gestionnaire du domaine de l'Etat et prestataire de services. Une interdépendance à l'origine de services administratifs de mauvaise qualité et à coûts élevés...
En conclusion, le très fort taux de chômage des diplômés du supérieur constitue une plaie pour la société tunisienne moderne et un échec cuisant pour son système éducatif, qui a failli dans certains de ses choix stratégiques et a mal adapté la qualité de son enseignement supérieur aux besoins du marché du travail. D'un autre côté, l'économie et en particulier le secteur privé, n'a pas eu le dynamisme nécessaire pour résorber ce chômage. D'ailleurs, c'est parce que ces deux secteurs (éducatif universitaire et économique privé) se sont superbement ignorés durant les deux dernières décennies, que nous en sommes à cette situation aujourd'hui. Il est temps donc, que les universitaires descendent de leurs tours d'ivoire et que ces messieurs les technocrates sortent un peu de leurs bureaux, pour venir au contact de la réalité et de la vrai vie !

Dr Samir BRAHAM, chirurgien orthopédiste libéral - Sousse


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