Toutes les agressivités, quelles soient verbales ou physiques, viennent de la parole. Ce langage très élaboré relatant les fins fonds de la pensée, reflétant les traits de caractère les plus occultes, enfouis dans les recoins de la personnalité, ne serait-il pas la cause de tous ces conflits qui déchirent notre société, qui minent les relations interhumaines ? Les rixes qui animent les rues au quotidien, une bonne partie des procès pour diffamation, les disputes entre collègues sur les lieux du travail, les engueulades entre les usagers de la route, les chamailleries entre enfants et jeunes, les altercations entre époux, toutes ces tensions, toutes ces animosités ne seraient-elles pas provoquées par la parole ? Le monde ne serait-il pas meilleur si les hommes étaient muets ou bien comme les animaux communiquant avec des sons non articulés ? Ainsi, ils ne se disputeraient qu'en cas de disette et de privation, mais tant qu'il y a l'abondance et que tous leurs besoins naturels sont satisfaits, ils sont calmes, et la paix règne parmi eux. Mais comme le monde n'est pas gai et qu'il est d'un rose morose, la première tendance reste dominante, les disputes continuent et la violence sévit que le langage soit articulé ou non. Les difficultés financières, le manque de loisirs, l'exiguïté de l'espace physique, culturel, intellectuel et politique, l'insalubrité des lieux, la frustration, ce sont de bonnes raisons pour rendre l'être violent. Quand on manque de moyens, la sublimation de tous ces désirs ne peut revêtir qu'une forme agressive. Toutefois, la fréquence ainsi que l'intensité de cette agression diffèrent de l'un à l'autre, et le théâtre où elle s'exerce n'est pas le même pour tout le monde, son choix est tributaire de la nature de chacun : il y a ceux qui sont plus réservés, plus décents, plus patients ou plus timides qui accumulent leurs « bulles d'agacement » tout au long de la semaine et les explosent le week-end dans les stades de football ou dans les bars le samedi soir. Les autres plus irascibles, licencieux ou effrontés laissent éclater les leurs à tout moment et en tout lieu, derrière un volant, devant un guichet, dans un café ou dans le foyer. On vous laisse imaginer laquelle des deux déflagrations est la plus violente.