Tout a un sens dans la vie, sauf la vie. J'ai appris cela très tôt, alors que je n'étais qu'une toute petite fille âgée d'à peine trois printemps. Je suis née comme tous les enfants du monde dans le plus beau des paradis. Il est bien entendu que le véritable paradis est le souffle doux et réconfortant de ma mère. Qu'il y ait eu autour de moi quelques frères et sœurs, un papa jamais présent, quelques arbres orphelins et des cérémonies de noces et d'enterrement n'a rien enlevé au fait que - comme tous les enfants du monde- ce monde a été créé pour moi et à ma mesure. Ce monde que je découvrirais plus tard comme étant la source de tout enfer, m'a offert ses roses, ses papillons, le chant de ses oiseaux, la rosée de ses matins et l'incommensurable espoir de changer... le monde. Dans ce pays qui était le paradis pour moi et qui se révèlera un jour être un couloir infini de la mort, je voulais m'éloigner de la terre, rejoindre le ciel pour regarder la terre de haut dans toute sa splendeur. Je voulais échapper à la main-mise totale des rats sur la terre et ses sous-sols. Le jour où j'entendis le vrombissement adorable d'un avion au-dessus de mon village, je suis sortie pieds-nus pour le voir passer. Je voulais le saluer. Il était beau comme un ange ailé. Les anges -comme les avions-ont toujours été dotés d'ailes. Sûrement pour les rapprocher de Dieu. J'imaginais, alors que Dieu était le super commandant de tous les vols des avions. Vers le crépuscule, on apprit que le passage de cet avion avait causé la mort de quelques dizaines de gens qui m'étaient proches. Je n'ai pas compris comment une si belle et si parfaite créature pouvait causer la mort. J'en venais même à douter des facultés des miens. A cinq ans, les avions, sont repassés en masse. Ils ont bombardé et bombardé et - encore- bombardé. Ils ont causé la mort des centaines des miens -enfants, mamans, frères et grands-parents confondus. Je n'ai pas pour autant détesté les avions. Je voulais toujours devenir aviatrice. Je défendais même ces pauvres machines que les humains utilisaient comme des machines à donner la mort alors qu'elles étaient faites pour nous rapprocher de Dieu et des multiples paradis de Dieu. Je résistais. Malgré le chaos, je continuais à croire à l'innocence des avions... jusqu'au jour où je vis les rats sortir de terre pour manger les cadavres que nous ne pouvions pas enterrer à cause des passages ininterrompus des avions. Les rats ont mangé ma mère, mes frères, mes cousins, mes voisins, jusqu'à mon père qui a toujours été absent. Je défends encore les avions... aujourd'hui, malgré tout ce chaos. Ils sont innocents. Ce sont les rats et les hommes qui sont coupables... et je continue de toutes mes forces à croire en la beauté et l'innocence des avions. Même si j'explose un jour, ce serait parce que je crois toujours que les avions -comme les anges-sont faits pour nous rapprocher de Dieu et des paradis de Dieu. Malgré les rats et malgré les hommes.