Pendant ces 18 dernières années, les négociations autour de la question du droit syndical et du droit de grève dans les administrations publiques n'ont jamais abouti à des accords concrets et définitifs ; la reconnaissance par l'Etat de ces droits légitimes inscrits dans la Constitution est à présent presque chose acquise. Un protocole d'accord a récemment été signé avec l'UGTT et, d'après des sources syndicales dignes de confiance, le document sera incessamment adopté de manière officielle. Dans toutes les administrations de la fonction publique, à l'exception des établissements scolaires de l'enseignement de base et du cycle secondaire, les réunions syndicales seront désormais autorisées après les heures de travail et les grévistes du secteur ne seront plus perçus comme contrevenants à la loi. C'est un acquis de valeur pour les travailleurs et pour le pays dans son ensemble, parce qu'il ne peut que consolider la démocratie et l'Etat de droit.
De haute lutte Les 18 années de négociations difficiles auront donc servi à quelque chose et les sacrifices consentis par les fonctionnaires de l'Etat pour la reconnaissance d'un droit légitime auront porté leurs fruits. Il est important de rappeler à ce sujet que les agents qui ont été révoqués de leurs postes pour avoir revendiqué ces droits aujourd'hui reconnus, ont longtemps galéré avant de réintégrer le service public, parfois sans avoir été entièrement dédommagés. Aujourd'hui, c'est à eux et à ceux qui les ont soutenus financièrement et moralement pendant les années difficiles qu'il faudrait peut-être dédier cette « victoire ». L'esprit d'ouverture, de dialogue et de compréhension mutuelle qui a finalement prévalu dans les négociations autour des droits syndicaux mérite également d'être souligné. De tels acquis font honneur à la Tunisie, un des rares pays émergents qui accordent le droit de grève à leurs travailleurs. La reconnaissance officielle de ce droit pour les agents de la fonction publique est d'autant plus louable qu'elle coïncide avec un contexte économique mondial très défavorable et qu'elle accompagne des augmentations salariales relativement importantes au profit des ouvriers et des fonctionnaires du service public et du service privé.
Le rôle de l'administration Le seul point noir dans les accords concerne cette « exclusion » des cadres et du personnel de l'enseignement, pour lesquels le droit aux réunions syndicales sur les lieux de travail ne sera pas reconnu. L'argument invoqué serait que les établissements scolaires représentent des espaces trop sensibles pour que des manifestations de ce genre y soient autorisées. La crainte de voir les élèves suivre l'exemple de leurs enseignants et organiser de leur côté des assemblées à caractère syndical au sein de l'établissement, et la peur légitime que ces réunions ne dégénèrent sans qu'on ait les moyens de les maîtriser, motivent sans doute aussi l'exception relative aux lycées et aux écoles. On comprend parfaitement ces appréhensions mais n'est-il pas plus sage d'envisager en même temps que les mauvais effets d'une mesure, les avantages qu'elle peut présenter et le profit que l'on peut en tirer. En d'autres termes, en accordant aux enseignants le droit de tenir leurs réunions syndicales en dehors des heures de travail, ne réduit-on pas au maximum le risque de grabuge dans l'établissement. D'autre part, et si l'administration d'un lycée, d'un collège ou d'une école établit régulièrement le contact et le dialogue avec son personnel enseignant et les représentants des élèves dont elle a la charge, si elle se dépense effectivement pour l'amélioration des conditions de travail dans l'établissement et met tout en œuvre pour faire régner un climat de confiance et d'entraide entre tous ses administrés, ne multiplie-t-elle pas les chances de réussite pour chacun d'eux. Un autre regard Si les choses tournent mal dans un établissement scolaire ce n'est jamais à cause d'une réunion syndicale ou d'une grève. La logique inverse serait plus plausible. Les rencontres entre instituteurs et professeurs du même établissement peuvent rendre d'énormes services à l'ensemble de sa population. Nous avons reçu, il y a quelques jours de la part de certains enseignants, une invitation à nous rendre à Hammam Echatt pour témoigner du délabrement et de la vétusté de leur lycée dont certains pavillons menacent ruine, affirment-ils. Si telle est la réalité dans cet établissement, une réunion syndicale en présence de quelques membres de l'administration et de la direction régionale dont relève le lycée ne serait-elle pas souhaitable et bénéfique pour tous ? Les enseignants ne demandent qu'à travailler dans des conditions dignes de leur rang et de la noblesse de leur mission. Ce ne sont pas des fauteurs de troubles, ils rêvent tous de mesures concrètes qui les revalorisent et redorent leur blason. Que 60.000 maîtrisards postulent au titre d'enseignant du secondaire, cela devrait en soi constituer un motif de fierté pour les gens du métier. Pourvu que les candidats retenus ne soient pas très tôt déçus dans leur choix de cette profession dont plus personne ou presque ne pense le même bien qu'il y a 50 ans. C'est en effet un métier « dévalué » en raison de nombreux facteurs, dont peut-être ce regard méfiant porté sur ceux qui l'exercent et qui en fait des ennemis de l'ordre et des adeptes d'idéologies ruineuses. Or, la majorité du personnel enseignant (tous cycles confondus) n'est plus aussi politisée qu'elle l'était dans les années 70 et 80. L'activisme syndical au sein de ce secteur a considérablement faibli et les seules revendications susceptibles de mobiliser la profession ont trait à des augmentations salariales et presque jamais ne revêtent un caractère politique. Sur l'influence « nocive » que les enseignants syndiqués peuvent exercer sur leurs élèves, on a tendance à entretenir et amplifier ridiculement la légende. C'est le risque inverse qu'il faudrait craindre, parce que les instituteurs et professeurs d'aujourd'hui subissent plus leurs apprenants qu'ils ne les maîtrisent ! Toujours plus et mieux L'école et le pays ont tout à gagner de la reconnaissance du droit syndical à tous les cadres sans exception. C'est l'exclusion qui génère les frictions et les conflits indésirables. Nous avons fait un grand pas vers l'Etat de droit en autorisant les grèves dans la fonction publique, franchissons le pas suivant et bannissons les préjugés parce qu'ils sont pires que la plus mouvementée des réunions syndicales.