20ème anniversaire de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) * Mme Sana Ben Achour, présidente de l'Association A l'occasion de la célébration de son 20ème anniversaire et aussi à l'occasion de la journée internationale de la femme, l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATDF) a inauguré hier son université féministe « Ilhem Marzouki », une université où se tiendront durant toute l'année des sessions de formation sur les thèmes touchant à la situation de la femme et à ses droits. Nous avons invité la présidente de l'Association Mme Sana Ben Achour. Elle nous parle ici de la célébration du 8 mars, de la situation de la femme, de ses acquis et de ses revendications. Interview.
Le Temps : Quels sont les sentiments évoqués chez vous par la commémoration du 8 mars ? Mme Sana Ben Achour : Je me réjouis de sa célébration internationale et de ce que cette consécration signifie en terme de percée à l'échelle mondiale de la question des droits et de l'égalité. Je me réjouis de ce qu'elle est partout dans le monde une journée de mobilisation. Cette journée s'ancre dans les luttes ouvrières et les manifestations des femmes au XIX ème siècle pour le droit de vote, de meilleures conditions de travail et l'égalité entre les hommes et les femmes. Ces revendications sont toujours d'actualité. Il faut ajouter que la date du 8 mars a été réinvestie par les féministes, entre autres les féministes tunisiennes dès la fin des années 40 puis de nouveau dans les années 70, pour qui elle a signifié et continue de signifier un féminisme autonome face au féminisme d'Etat qui s'avère être plus un autoritarisme qu'un féminisme. Je m'inquiète donc de sa ritualisation politique et de son instrumentalisation démagogique. Que vaut la célébration officielle du 8 mars lorsque par ailleurs des entraves de tous genres sont dressées devant les manifestations publiques des associations autonomes, comme cela a été le cas dernièrement pour L'ATFD ? La prise en charge de la question des droits des femmes ne peut se réduire à un hommage formel, l'hommage d'un jour et ne peut se transformer en simple discours de légitimation d'un régime
Que pensez-vous de l'exception tunisienne en matière de liberté de la femme dans le monde arabo - musulman ? J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur cette question en précisant que l'expression "exception" n'est pas juste vis-à-vis des millions de femmes qui se battent dans le monde pour la liberté, l'égalité et la démocratie. Quant à la situation des Tunisiennes en matière de libertés elle n'est pas bien reluisante à l'image de la démocratie dans notre pays. Si des acquis juridiques ont été réalisés, beaucoup reste à faire : la violence conjugale et le harcèlement sexuel sont en progression, la pauvreté un fléau qui frappe en particulier et plus durement les femmes, les inégalités et l'exploitation en milieu de travail toujours vivaces, la décision politique échappant à la participation, la famille sous l'autorité du mari, les inégalités en matière successorale, etc. Dans plusieurs domaines, on constate une régression voire une crispation autour de la question de l'identité culturelle dont les femmes et la famille sont les gardiennes désignées. La Tunisie perd de la vitesse et cela en raison d'un système politique qui ne respecte pas ses propres présupposés.
Quels sont, selon vous, les axes de la lutte actuelle de la femme en Tunisie ? Quelles sont précisément les revendications ? Pour nous, les militantes de l'ATFD et selon notre grille lecture, il existe deux ordres de priorités : agir pour éradiquer les discriminations économiques et sociales à l'égard des femmes et qui se manifestent notamment par la féminisation de la pauvreté et la vulnérabilité sociale des femmes ; agir dans le domaine des libertés auxquelles les atteintes sont si préjudiciables aux droits. Ce sont ces deux ordres de priorités qui déterminent nos revendications tant dans le champ des droits que dans celui des libertés : l'égalité en matière successorale et du droit à l'héritage, la question du droit au logement des femmes, l'hébergement et les espaces de halte pour les femmes victimes de violence, l'abolition du statut de l'époux chef de famille, la reconnaissance aux femmes à l'égal du mari de toutes les attributions de la tutelle parentale, la levée des réserves sur la convention contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la prise en compte des droits des mères célibataires et de leurs enfants, la garantie des droits corporels et sexuels des femmes, etc. A un autre niveau, nos revendications portent sur les libertés, les droits de citoyenneté et leurs garanties effectives partant de l'idée que le combat pour les droits des femmes est un combat pour la démocratie.
Un différend a opposé l'ATFD à une fondation allemande au sujet d'une subvention octroyée par cette dernière à l'association qui a été mal utilisée. Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur cette question. Rien de cela n'est vrai. Les faits sont totalement déformés par une presse aux ordres. En d'autres circonstances et sous d'autres cieux, l'ATFD aurait porté plainte : une pénale pour diffamation, une en reponsabilité pour demander des dommages et intérêts pour fait du prince. En réalité l'ATFD, par l'intermédiaire de la fondation Friedrich Nauman, a bénéficié, pour le projet maghrébin Mussawat du soutien de l'Union Européenne pour la période allant du 16 mai 2004 au 30 juin 2007. Ce financement, s'inscrit à ce que je sache, dans les accords d'association et de coopération que l'Union Européenne a avec la Tunisie. Or le blocage par la Banque Centrale de Tunisie des sommes transférées a empêché la réalisation normale du projet. A deux reprises, ces sommes ont été bloquées. Alors que le premier blocage fut rapidement levé, le deuxième dura une année entière, du 3 novembre 2006 au 26 novembre 2007, perturbant sérieusement l'économie générale du projet. C'est à la fin du contrat - venu à échéance le 30 juin 2007 faute d'un avenant le prolongeant à temps- que les sommes furent débloquées, sous la pression continue de l'association et de ses partenaires, et versées sur le compte de l'ATFD. La Délégation Européenne à Tunis, estimant pour sa part, que ce cas d'exception ne présente pas un caractère suffisant justifiant la réouverture du contrat, a exigé de la Fondation la restitution de la somme qui, à son tour, l'a exigée de l'ATFD. Ce qui fut fait! La somme a été restituée en totalité non sans le sentiment exprimé à qui de droit d'une profonde injustice vis-à-vis d'une association autonome qu'on veut asphyxier. Interview réalisée par Néjib SASSI