Le téléobjectif capte ce qui échappe souvent au regard de l'humain. Il révèle des détails ténus, des particules invisibles. Nous sommes aujourd'hui à l'ère de la caméra microscopique, du laser, des faisceaux : tout devient accessible à la vision, tout est décrypté et il est normal que ce transfert technologique s'étende jusqu'au sport autant pour montrer des gestes de sirène d'une nageuse dans une piscine, ou malheureusement la face-cachée hideuse du sport là où l'on crache sur l'adversaire, la où on assène un coup de coude en pleine poitrine d'un vis-à-vis, là où on écrase une jambe où l'on profère des obscénités. La télévision sportive fait irruption dans les mœurs du sport et particulièrement du football en Tunisie.
La magie de la Moviola Depuis longtemps déjà, la "Moviola" s'est imposée avec ses révélations tonitruantes, ses indiscrétions et la manière dont elle met à nu les erreurs d'appréciation arbitrales. Créée en 1969 par la télévision italienne, "la Moviola" fait figure d'épouvantail, avec ses moments de vérité où les images qu'elle révèle appellent des commentaires précis et presque scientifiques. On a bien vu à la "Domenica Sportiva" comment le but de la main d'Adriano contre Milan a été disséqué: volontaire ou non? Mais dans le studio il y avait aussi un "anatomiste" qui a bien fait remarquer qu'au moment de réceptionner le centrage et hésitant entre la tête et la main, Adriano a contracté le poing droit et le bras droit . Dès lors l'intention volontaire devenait plus qu'une présomption. Or il y a une différence fondamentale: les textes de la Ligue italienne l'autorisent à recourir au visionnage et à en tenir compte dans les décisions disciplinaires. Chez nous, en revanche, c'est encore au stade d'une pratique adoptée par la Ligue mais une pratique plutôt sélective. De sorte que le "crachat" de Jmel si savamment mis en avant-plan et à propos duquel la télévision tunisienne a pleinement collaboré avec la Ligue vient de déclencher une tempête de polémiques. Les dirigeants étoilés sont absolument dans leur droit lorsqu'ils dénoncent "la politique des deux poids, deux mesures" adoptée par la télévision particulièrement. Acculée à pendre position, la Ligue et la Fédération par la bouche de Hammami révèlent que la télévision (Hannibal) n'a pas voulu mettre à leur disposition ces images qui seraient "compromettantes" pour l'Espérantiste Darragi et le Clubiste Berrejeb. Darragi aurait piétiné le pied d'un adversaire. Berrejeb aurait craché sur un autre.
Déontologie Comment interpréter donc ce bras de fer? Déontologiquement la télé est-elle en droit d'adopter une attitude aussi outrancièrement sélective dans les images compromettantes qu'elle révèle? Mais si tel est le cas, la Ligue ne bascule-t-elle pas dans la partialité et dans l'injustice dans la dépendance à ces images, dans le conditionnement aussi? Sans doute peut-on nous rétorquer qu'elle juge sur pièce. Or nous sommes face à des dépassements en tous genres: si la télévision se substitue à la feuille de match, c'est tout le pouvoir de perception de l'arbitre qui est remis en question. Si, au nom d'une éthique - qui n'est en fait que la recherche du sensationnel et l'exubérance de l'image agressive - la télévision instruit des procès sportifs et infléchit des décisions disciplinaires, et que des institutions a priori souveraines comme la Ligue et la Fédération en sont systématiquement conditionnées, nous nous retrouverons à devoir en découdre avec une justice sur commande et, de surcroît, une justice qui n'est pas, aveugle. Car la caméra révèle ce qu'elle a envie de révéler et cache ce qu'elle a envie de cacher. Et au bout du compte c'est moche: comptabiliser les crachats, les insultes et les gestes déplacés n'a rien d'éthique.