Ces hommes et ces femmes savaient regarder la peur dans les yeux. Sans eux, la Tunisie ne serait pas devenue ce qu'elle est. Et s'il y a tant de Martyrs dans nos cimetières c'est pour qu'il y ait encore plus de vivants, pour que survive la patrie et pour que la Tunisie reste à jamais indépendante. -La vie des morts (rappelle Cicéron) consiste à survivre dans l'esprit des vivants-.Or, les Martyrs ne meurent pas, ils sont éternels. Quelque part avec nous, autour de nous, auréolés de cette sacralité divine, ils nous protègent, prient pour le pays pour lequel ils ont versé leur sang, et croient toujours en ce qu'ils ont fait, à la justesse de cette cause. C'est à nous, de génération en génération, de mériter ces sacrifices, de sanctifier l'intérêt national et d'avoir toujours présent à l'esprit que la lutte nationale ne finit jamais, qu'elle ne finira jamais, parce qu'elle est accoucheuse d'histoire. Ainsi, le 9 avril 1938, aura-t-il marqué un tournant dans l'histoire de la lutte nationale. Et ce ne fut pas la conséquence d'une cassure entre l'ancien Destour et le néo-destour, comme cherchent à en accréditer la thèse, les théoriciens des luttes de classe. Mais, ce fut un soulèvement populaire, spontané, courageux, et irrépressible. Et c'est à partir de là que l'étincelle rejaillit en Algérie, se propagea jusqu'au Maroc, embrasant ainsi le Maghreb. Historiquement, (Charles André Julien le confirme) : le 9 avril 1938 a eu une dimension maghrébine, et un retentissement arabe. Plus tard, des centaines et des centaines parmi les révoltés-survivants du 9 avril rejoignirent le maquis algérien pour combattre aux côtés de nos frères algériens. Le pire danger que court une nation c'est lorsqu'elle s'arrange pour devenir amnésique ou que son Histoire soit réécrite au gré des époques et des régimes. En opposant leurs poitrines aux balles et aux chars de l'occupant français, les martyrs et les militants se disaient certainement que « s'il devait y avoir la guerre, eh bien, que ce ne fût pas pour longtemps ; pour que leurs fils, (c'est-à-dire, nous !) connaissions enfin la paix ! ». Grâce à eux, la Tunisie est devenue indépendante. Un Etat moderne et solide. Ils nous auront transmis un sens du sacrifice, qu'on sous-estime pourtant quelque part chez les Tunisiens. Ils nous ont appris à bénir cette terre qui a béni leur sang. Ils ont insufflé en nous cette fibre patriotique, l'attachement à l'intégrité territoriale et, aussi, le sens de la solidarité. Aujourd'hui, la Tunisie est un pays prospère. Après avoir jugulé les obscurantismes d'où qu'ils viennent voilà qu'elle s'engage sur la voie de la démocratie, des libertés et du progrès. Son histoire riche, trois fois millénaire, est jalonnée de combats pour la liberté. Le 9 avril 1938 y occupe une place fondamentale. Car, c'est à partir de cette date que le processus s'est égrené... jusqu'à aboutir au 20 mars 1956. Il est dans l'air du temps, aujourd'hui, que des pays, jadis colonisés, demandent des dommages et intérêts à l'ancien colonisateur. Soit. Mais, le sang versé par les Martyrs, par les nôtres, n'a pas de prix.