«Une créature à moitié homme à moitié crocodile découverte dans le désert de...», «L'incroyable histoire de la femme à deux têtes», «Le visage de Saddam apparu dans le ciel, le jour de son exécution»... C'est avec des manchettes pareilles que certains journaux réalisent les plus gros tirages dans notre pays. Il s'agit de ces tabloïds populaires, qui ne reculent devant aucune entorse à la déontologie journalistique pour doper leurs ventes. Comme, par exemple, de truquer des images (la créature à moitié homme et à moitié crocodile ou la femme à deux têtes, tant qu'on y est) en utilisant des logiciels (Photoshop et autres) développés par les grands laboratoires américains, mettant ainsi la quintessence de la science informatique au service de l'ignorance la plus crasse. Comme aussi d'inventer des histoires à dormir debout, aussi invérifiables les unes que les autres, puisque ne citant aucune source pouvant être sérieusement identifiée, à propos des Saddam, Ben Laden, Nasrallah, Ahmadinejad et autres «têtes brûlées» qui font malheureusement encore vendre du papier, et pas seulement dans notre pays. Comme, last but not least, de découper - aux ciseaux - des enquêtes sociales parues dans certains journaux arabes (égyptiens ou autres, de préférence non diffusés en Tunisie) et à les republier presque telles quelles, en prenant le soin d'y changer les noms des lieux et des personnes, de manière à faire croire qu'elles ont été réalisées... chez nous. Comme quoi, il est beaucoup plus facile en Tunisie de vendre des journaux, même réalisés avec des bouts de ficelles (mensonge, bidonnage, plagiat..., et plus les ficelles sont grosses, plus elles atteignent leur but), que d'être journaliste, un vrai, qui vérifie ses informations, s'assure de la crédibilité de ses sources, évite les excès de langage et, ce faisant, respecte ses lecteurs et participe à l'élévation du niveau intellectuel - et moral - de ses compatriotes. Les lecteurs auront sans doute remarqué que nous ne parlons pas ici du traitement que notre presse réserve généralement aux problèmes politiques internes, ni de sa complaisance, réelle ou présumée, vis-à-vis du gouvernement et du parti au pouvoir, ni de la place qu'elle laisse - ou ne laisse pas - à «l'autre opinion», celle des leaders de l'opposition dite «radicale»... Nous ne parlons pas non plus des libertés (d'expression, d'organisation...), ni des droits de tel ou tel intellectuel - libéral, de gauche ou islamiste - à faire entendre sa différence ou à critiquer le gouvernement... Ces libertés et ces droits sont presque un luxe auquel on n'oserait même pas prétendre. Quoique... Nous essayons seulement d'attirer l'attention des décideurs politiques, ainsi que des rares confrères et consœurs qui se soucient encore de l'avenir de la profession, sur les ravages qu'une presse trop populaire, imprécise, vulgaire et menteuse à souhait pourrait provoquer dans l'opinion publique. Et les «vocations» qu'elle pourrait aussi susciter, parmi les jeunes et les moins jeunes, en chantant, du matin au soir, les louanges des despotes, chefs de guerre ou imams rebelles, recruteurs de terroristes. Ou, encore, en racontant des sornettes qui infantilisent le peuple et le renvoient, intellectuellement, à l'âge des cavernes d'Ali Baba.