Curieusement, et à regarder de plus près, les professionnels de l'apprentissage de la conduite auto sont mécontents, la profession périclite, ils ne trouvent plus leur compte ; nombreux sont même sur le point de déposer le bilan et mettre la clé sous la porte. Nous en avons approchés plusieurs des plus jeunes récemment intronisés dans le circuit aux plus anciens ayant pignon sur rue depuis plus de quarante ans ; leurs doléances sont similaires exprimant un ras le bol désabusé général.
Cédons leur la parole.
*Le Temps : contre toute attente, vous souffririez d'un marasme étonnant et accuseriez un manque à gagner fort pénalisant ?
C'est la stricte vérité. Nos bureaux sont désertés et nos véhicules ne sont que rarement en service.
*A quoi imputez vous ce phénomène somme toute inexplicable pour le commun des mortels, car d'aucuns s'attendent à ce que votre situation soit des plus peinardes ?
Plusieurs facteurs concourent au dépérissement du métier, dont le plus important est la pratique de l'apprentissage par des clandestins qui n'ont ni les attestations ni les qualités requises pour le faire.
*Comment agissent ils alors ? Qui les couvre ?
C'est très simple, un « moniteur »clandestin se procure une voiture, la dote des doubles commandes moyennant la modique somme de 200 dinars (comparée aux gains faramineux en perspective), puis contacte un chef d'établissement que les scrupules n'étouffent pas (entendre proprio d'auto-école) détenteur d'une carte d'exploitation et d'un (CAP) Certificat d'Aptitude Pédagogique pour l'enseignement de la conduite. Le véhicule est naturellement mis au nom du chef de l'établissement contre des garanties bien évidemment (un chèque ou un contrat restituant la voiture au clando mais qu'on n'enregistre pas) ; et notre moniteur ( ?) d'entamer en toute quiétude sa carrière. Il commence par les copains et les amis, le bouche à oreille aidant il se constitue une solide clientèle d'autant plus qu'il peut se permettre de casser les prix n'étant nullement tenu à honorer les charges qui grèvent mensuellement nos budgets.
*Oui, mais le jour de l'examen, l'inspecteur risque de découvrir le pot aux roses, la supercherie ; le clandestin étant inconnu au régiment ?
C'est là qu'intervient le véreux chef d'établissement ; le jour J, c'est lui qui conduit les candidats aux épreuves car ayant ses entrées auprès des examinateurs selon les allégations des clandos. Il va sans dire que pareilles manœuvres sont rondement rémunérées par le candidat mais à son insu... S'il est généralement admis qu'une heure de conduite revient à une moyenne de 2 dinars comme consommation de carburant, il aisé de calculer les bénéfices qu'accumulent ces fraudeurs, à eux la grosse galette !
*Mais pareilles conclusions s'appliquent également à vous les réguliers ! N'êtes vous pas tous logés à la même enseigne ?
Aucunement, vous oubliez nos lourdes charges : pièces de rechange, loyer, TVA, FISC, CNSS où on est logé à la même classe que les médecins (classe 3 minima), secrétaire, 3 à 4 dinars l'heure du moniteur, 2 visites techniques par an, sans oublier l'assurance très onéreuse au même titre que les taxis ou les voitures de louage ; alors que nous ne roulons qu'à 40 km/h !
*Ok, mais le client ne se rend - il pas compte qu'il a affaire à un imposteur ?
Ce qui compte pour lui, c'est surtout le coût de l'heure nettement inférieur au notre (8 voire 7 dinars contre 12 à 14 chez nous) ; avec beaucoup de roublardise, de baratin, le client n'y voit généralement que du feu !
*Heureusement que les voitures populaires sont là et vous pouvez de ce fait vous en procurer régulièrement pour ne pas avoir à supporter les frais des réparations fréquentes dans votre job ?
Nous n'avons nullement droit au chapitre ! Médecins, avocats, financiers peuvent se les procurer mais nous, il nous est formellement interdit de nous inscrire sur les listes d'attente. On nous considère comme des commerçants, des exploitants « haut de gamme » si vous voulez ; une aberration de plus !
*Qu'en est il de ces forfaits (WAFKA) avec des sommes mirobolantes que certains proposent à leurs clients en leur faisant miroiter la réussite assurée dès le premier coup ?
C'est une pratique assez répandue, c'est vrai, où toutes les parties prenantes trouvent leurs...comptes démesurément renfloués !!