Présentées mardi par le chef de la diplomatie française, les «propositions pour un partenariat renforcé avec le Maghreb» s'inscrivent dans une volonté de recentrage de la politique de Paris en faveur du Maghreb. Décryptage... «Face aux effets de la mondialisation, face aux déséquilibres profonds de la planète en matière de santé, d'éducation ou d'environnement, face aux risques de divorce entre les cultures, la relation entre la France et le Maghreb veut se fonder sur un nouveau pacte de confiance et sur une communauté de valeurs politiques», a affirmé le ministre français des Affaires étrangères, M. Philippe Douste-Blazy, au cours d'une conférence de presse, mardi, au Quai d'Orsay, à Paris, en présence d'acteurs de la coopération franco-maghrébine (parlementaires, représentants d'organismes publics et privés, personnalités culturelles et artistiques), ainsi que des ambassadeurs des cinq pays de l'Union du Maghreb arabe accrédités en France.
Pour un bouquet satellite français à prix réduits «Il faut être plus ambitieux avec le Maghreb qui doit être l'espace prioritaire de notre action et, au-delà, une priorité de l'Union européenne en Méditerranée [...]. Ne nous trompons pas: la réussite ou l'échec du Maghreb sera la réussite ou l'échec de la France», a expliqué le ministre. Ce dernier, dont la mission devrait s'achever au lendemain du second tour de l'élection présidentielle, en mai prochain, a présenté ensuite les quatre grandes priorités au coeur de cette «ambition renouvelée» : la relance du français dans les pays du Maghreb, le développement de partenariats durables dans le domaine de la formation et la recherche, le renforcement des relations entre les sociétés civiles, le développement des instruments de dialogue politique et, enfin, la définition d'une ambition audiovisuelle partagée. A propos de ce dernier point, le ministre a fait état de la volonté française de faire parvenir au Maghreb des chaînes de télévision privées «par bouquets satellites à prix réduits». C'est une filiale internationale du groupe Canal+, Media Overseas, qui sera chargée de présenter «une offre télévisuelle satellitaire française diversifiée». Le bouquet en question «comprendra une cinquantaine de chaînes, dont trente françaises, et des contacts ont déjà été pris en Tunisie et en Algérie pour une diffusion à l'échelle de la région répondant aux attentes du public maghrébin», a précisé M. Douste-Blazy. En réponse à une question relative aux réformes politiques et aux droits de l'homme au Maghreb, le chef de la diplomatie française s'est contenté de rappeler que «cette dimension constitue l'un des éléments de notre dialogue politique avec nos partenaires». Son porte-parole, Jean Batiste Mattéi, s'était montré plus explicite, au cours d'une conférence de presse trois jours plus tôt, en excluant du nouveau plan de partenariat les «questions sensibles», «d'ordre politique», comme celle du Sahara occidental, opposant l'Algérie au Maroc, qui est, selon lui, du ressort des Nations unies. Les relations entre la France et les pays du Maghreb sont «profondes, uniques et constituent un capital exceptionnel pour la France d'aujourd'hui et de demain», a souligné M. Douste-Blazy. En témoignent les flux humains de part et d'autre de la Méditerranée, la communauté de langue, les échanges culturels très denses et l'importance des relations économiques. La France qui accueille la plus importante communauté maghrébine à l'étranger est aussi l'un des premiers fournisseurs, clients et investisseurs étrangers au Maghreb.
Contrer l'activisme états-unien en Afrique du Nord Pourquoi donc ce brusque regain d'intérêt - ou cette «ambition renouvelée» - de la France pour le Maghreb ? Assistons-nous à une réorientation de la stratégie régionale de la France en faveur de la Méditerranée du Sud ? Ou, plus simplement, au rappel d'une constante de la politique étrangère française, rendu nécessaire par le regain d'activisme américain en Afrique du Nord, et par des enjeux électoraux internes français ? Il y a un peu de tout cela à la fois. Rappelons-nous: dans un discours prononcé le 7 février à Toulon, ville portuaire française traditionnellement tournée vers la Méditerranée, le ministre de l'Intérieur et candidat de l'UMP à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy, a défendu pour la première fois son projet d'Union de la Méditerranée, une sorte de G8 régional incluant le Maghreb. Il a plaidé aussi pour une «politique de civilisation» où nos «sociétés ouvertes retrouveront leur capacité d'intégration et inventeront de nouvelles manières de vivre ensemble». Selon celui que l'on présente déjà comme le futur président de la France, cette Union méditerranéenne «aura vocation à travailler étroitement avec l'Union européenne et à avoir avec elle des institutions communes». Elle aura aussi à prendre en charge «les questions de lutte contre le terrorisme, la gestion concertée des migrations, le développement économique et commercial et la promotion de l'Etat de droit dans la région». Dans une conférence de presse, le 28 février, le candidat de l'UMP a réaffirmé son intérêt pour le Maghreb en proposant à Alger «un accord de coopération dans le nucléaire civil en échange d'un partenariat sur l'exploitation des champs gaziers», rompant ainsi avec une tradition française qui voyait dans le programme nucléaire civil algérien une menace pour la France. En faisant cette proposition, qui en avait surpris plus d'un des deux côtés de la Méditerranée, Sarkozy avait sans doute à l'esprit la proposition de Washington d'une coopération nucléaire civile avec Alger, qui avait été faite quelques semaines auparavant. C'est dans cette perspective qu'il convient aussi de lire les déclarations de Patrick Devedjian, l'un des proches de Sarkozy, le 13 mars, au journal ''Le Monde'', selon lesquelles le ministre de l'Intérieur «préfère un partenariat» entre GDF et la puissante compagnie algérienne des hydrocarbures SONATRACH à une fusion entre les deux compagnies françaises GDF et Suez. Selon Devedjian, Sarkozy va plus loin en proposant la création d'un «grand groupe gazier euro-africain» qui permettrait de «renforcer les liens entre Paris et Alger [...], de stabiliser l'immigration», de «mettre le gaz algérien en concurrence avec le gaz russe» et de «sécuriser» ainsi l'approvisionnement énergétique de la France et des Européens. Ces «avances» de la France (et de son «futur président») à l'Algérie en particulier - et au Maghreb en général - s'insèrent dans le cadre général de la lutte feutrée que se livrent Washington et Paris pour la «reconquête» du Maghreb, dont l'Algérie, avec ses importantes ressources énergétiques et sa profondeur saharienne, constitue le chaînon fort. Elles s'expliquent aussi par un intérêt réel de la France pour le gaz algérien, dont l'excellente qualité, la disponibilité et la proximité géographique ne sont pas les moindres atouts. Elles s'expliquent enfin par la volonté du candidat de l'UMP de se rallier les suffrages d'une partie des Français d'origine maghrébine que ses récents propos sur les jeunes des banlieues, qualifiés de «racaille» à nettoyer «au karcher» et sur l'«immigration choisie» ont moyennement choqués.