La célébration du centenaire de notre poète national Aboul Kacem Chebbi a été l'occasion pour l'édition de plusieurs livres sur la vie de l'homme et sur son œuvre mémorable. La dernière en date, fut celle de l'écrivain Jalal El Mokh qui s'est penché sur le fameux recueil du poète " Aghani El Hayet " en y effectuant une approche critique plus ou moins différente de celles qui ont précédé grâce à une (re)lecture minutieuse qui a débouché sur ce livre où l'auteur semble opter pour d'autres pistes de prospection de l'univers du poète en allant fouiller entre les lignes d'autres indices sur la virtuosité et le génie de Chebbi et sur la subtilité et la préciosité de sa poésie. Dans sa présentation du recueil, Jalal El Mokh met l'accent sur l'apport du poète dans le renouvellement de la poésie arabe et tunisienne : " Abou Kacem Chebbi, peut-on lire dans cette introduction, avait la certitude absolue que sa poésie allait produire une révolution poétique dans la littérature arabe en général et dans la littérature tunisienne en particulier... ". L'auteur nous fournit plusieurs vers pour illustrer ce défi que le poète voulait relever : le poète est un artiste déchaîné, révolté dont les rêves se heurtent souvent contre l'ignorance, l'incompréhension, l'indifférence et la passivité d'un peuple appelé pourtant à décider de son destin. La poésie est donc, telle que définie par le poète lui-même dans son poème intitulé " Ma poésie ", " un cri de l'âme triste ", " l'écho d'un cœur en pleurs ", " la beauté des lumières crépusculaires " et " l'inspiration de la vie et le langage des anges ". Toutes ces définitions données à la poésie semblent rompre avec les différentes conceptions qu'on se faisait sur la poésie classique jusque-là répandue ! Aboul Kacem Chebbi, précise l'auteur, lance son manifeste poétique révolutionnaire à travers non seulement sa poésie mais aussi, à travers sa fameuse conférence sur " l'imaginaire poétique chez les Arabes " qui a provoqué à l'époque, un grand tollé chez les conservateurs et qui constitue la ligne directrice dans la réalisation des objectifs de la poésie et des aspirations du poète à travers son œuvre créative qui réunit à la fois esthétique et critique. La poésie chez Abou Kacem Chebbi est synonyme de la vie dans tous ses états ; elle a pour seule inspiration la beauté, la liberté, la sincérité et ne doit en aucune façon être un moyen de flatteries serviles pour arriver à ses fins alors que la poésie passe pour " une épée que le poète doit brandir tout haut pour lutter contre les dérives de la société, quelle que soit leur nature... ". L'auteur de ce livre va plus loin dans son analyse de la poésie du recueil " Aghani El Hayet " pour affirmer que notre poète, tout en étant imprégné jusqu'aux moelles des principes et des courants littéraires et poétiques arabes, est également influencé par l'école occidentale, notamment par les romantiques européens dont les œuvres lui parvenaient à travers la traduction. L'impact de ces derniers sur notre poète ne se borne pas aux thèmes abordés (la nature, l'amour, la mélancolie, l'évasion, l'isolement, la révolte...) mais également au niveau de l'écriture qui prend des formes nouvelles dans l'oeuvre du poète, s'écartant peu à peu des contraintes de la poésie classique, ce qui ouvrira plus tard la voie à la poésie libre. L'auteur Jalal El Mokh nous entraîne dans une (re)lecture de tout le recueil durant laquelle nous aurons droit à des annotations en bas des pages, tantôt explicatives, tantôt critiques, accompagnant les poèmes, ce qui facilite aux jeunes lecteurs l'accès au sens des vers et à bien apprécier la poésie et la sensibilité d'Abou Kacem Chebbi. Hechmi KHALLADI
* Recueil d'Abou Kacem Chebbi " Aghani El Hayet " présenté et commenté par Jalal El Mokh, Editions Dar Al Maâref, Sousse, 2009.