Du fond de ta tombe si tu m'entendais ou si tu me voyais tu tomberais raide mort. Tout gosse, tu m'as appris les bonnes manières, tu m'as aimé et tu m'as frappé, tu m'as gâté et tu m'as laissé sans le sous, tu m'as mis à l'école et tu ne m'as pas appris l'alphabet, tu m'as écouté sans jamais me répondre, tu m'as appris à aimer autrui, à être digne, honnête, économe, respectueux... en un mot tu voulais faire de moi un Homme mais quand j'ai grandi tu es parti en me laissant père à mon tour. De ma ville natale, je suis parti avec une valise pleine d'espoir et de volonté. Du vieux quartier où j'habitais je n'ai gardé que de bons souvenirs malgré la misère qui y régnait. J'habite une cité de renommée avec des voisins riches de préjugés, avec de grosses voitures et des lunettes noires trop occupés par les soucis journaliers, je n'ai pas eu l'honneur et le plaisir de les connaître, je ne connais pas leurs noms, je ne sais pas d'où ils viennent ni où ils vont, et si par moments, nos regards se croisaient on est devenu si enquilosé avec des nuques raides qu'on ne peut même plus saluer. Notre vieux quartier avec sa petite place où l'on jouait, a fait place aux zones vertes des nouvelles cités, les demeures y sont si perfectionnées que le froid on ne connaît plus, l'été on ne connaît plus, les quatre saisons on ne connaît plus, les fruits par contre, sont tous devenus des fruits "quatre saisons" mais n'ont plus le goût d'avant, ils n'ont que la forme et moi de tout ce que tu m'as appris, je n'ai trouvé que la forme mais le goût n'y est plus, et de cette belle forme qui ressemble à un fruit mûr, il suffit de gratter un peu tu ne trouveras qu'un vague souvenir, un mirage de fruit, un mirage d'homme, un mirage de vie. Père reste là où tu es, au moins là où tu es, tu es dans le vrai, je t'aime et je te hais, mais moi je me débrouillerai.