Pour ne pas vouloir être des « rats de bibliothèque », et « remonter » jusqu'au roi Louis IX, Saint Louis, au XIIIème siècle, nous nous contenterons de remarquer que des Provençaux puis des Français, amateurs de « l'arbre-pierre », appelé corail rouge, sont venus en Tunisie et y ont entretenus des relations avec les chefs locaux dès le XVIème siècle. Il y a donc plus de quatre siècles ! Durant les trois siècles suivants, les relations franco-tunisiennes intergouvernementales se développent et des consuls généraux prestigieux, tels que M. Mathieu de Lesseps et Léon Roches oeuvrent, au XIXème siècle à les entretenir à un niveau très élevé. Nos amis tunisiens rétorqueront aussitôt que cela a abouti - hélas ! - à la conquête de la Tunisie, malgré une résistance opiniâtre et à l'établissement du Protectorat. Comme dans toutes les « alliances » solides, les périodes heureuses succèdent toujours aux conflits, n'est-ce pas ? Et aujourd'hui, il est seulement question de la « Redécouverte » de la Résidence de France à La Marsa, à l'occasion du 150° anniversaire de la mise à la disposition du représentant de la France de ce « Palais » beylical. Un siècle et demi déjà et le monde a été complètement bouleversé.
UN PEU D'HISTOIRE La Marsa est actuellement une belle - petite ? - cité qui grandit très vite. Elle est construite sur une partie du faubourg punique de Megara, qui était une parfaite plaine agricole, protégée par les remparts de Carthage. Ne dit-on pas qu'ils mesuraient de 40 à 60 kilomètres de longueur ! A l'époque carthaginoise - et bien longtemps après : jusqu'à ces dernières années ! - ce territoire bordé par la mer, l'isthme de La Souka ainsi que par la métropole punique, était dominé par les collines de Sidi Bou Saïd et du Jebel Khaoui, et devait nourrir Carthage, au moins en partie. C'était aussi là que les riches familles carthaginoises avaient fait construire de belles demeures où elles logeaient, peut-être à l'année, mais plus probablement à la belle saison seulement. Megara a certainement été pillé et peut-être incendié par les soldats de Scipion en 146 avant J.C. lors de la prise de Carthage. C'est la décision de César en 47 avant J.C. d'implanter une nouvelle population sur le territoire qui va faire renaître Carthage. Les pistes et les routes actuelles reflètent, en grande partie, la cadastration romaine agricole, peut-être césarienne, qui ne correspond pas à celle de la ville de Carthage, proprement dite, datant peut être de 27 avant J.C. : du règne de l'Empereur Auguste. L'aménagement du terrain est peut-être bien antérieur à l'époque de César. Il pourrait avoir été réalisé quelques dizaines d'années après la destruction de Carthage et l'exécration de son territoire y interdisant toute présence humaine. Ainsi la colonisation romaine rétablit et maintient, durant des siècles, l'exploitation agricole de la plaine de La Marsa sur laquelle de petits établissements industriels, peut-être artisanaux seulement, existaient. Les Vandales puis les Byzantins n'ont certainement pas modifié profondément la vie à La Marsa. Mais ce territoire, proche d'une grande métropole, abrite aussi, tout naturellement, des nécropoles. Celle de Gammarth, en grande partie, recouverte par le cimetière militaire français et le bois de Gammarth, recèle un grand nombre de tombeaux juifs qui prouvent l'importance de la population judaïsée à l'époque antique. Carthage est conquise définitivement en 698 par les Arabes qui ne l'occupent pas, sans doute parce qu'ils craignent un retour offensif ou au moins des raids des Byzantins, alors maîtres de la mer. A la Megara antique succède El Marsa dont on ne sait pas grand-chose durant le haut Moyen-Age. Cependant son nom pose problème. Quand apparaît-il ? Pourquoi El Bekri, la nomme-t-il, au XIème siècle : « La Marsa (le port) de Carthage ... » ? En l'absence de vestiges archéologiques puisque les souverains hafsides ont fait araser le sommet de l'éminence de La Marsa pour faire construire leurs palais et leurs dépendances, on ne peut que suggérer que la baie de La Marsa était, à défaut d'un port, un mouillage abrité, où les équipages fatigués et les navires en mauvais état ou lourdement chargés pouvaient y attendre un vent favorable pour doubler la « pointe » de Sidi Bou Saïd. La découverte de thermes privés, d'époque vandale, tout près de l'eau, au bas des jardins de l'Ambassade de France, laisse penser que le sable accumulé au pied du « boulevard de front de mer » n'existait pas - encore - à l'arrivée des Arabes. C'est au XVIème siècle que le dynaste hafside : Abou Abdallah Mohamed, sans doute séduit par la beauté du site, la quasi permanence des vents frais durant la saison chaude, la fertilité du sol, et un habitat certainement clairsemé, décide d'y faire construire une résidence de villégiature « royale » composée de trois palais, appelés en son honneur : « Abdelliya », situés dans un parc immense en bordure de mer. Les soldats espagnols commandés par Charles Quint ont - parait-il - rasé la côte de La Marsa avant d'attaquer Tunis et deux des résidences Hafsides ont disparu. Les princes et dignitaires ottomans n'ont pas été intéressés par cette région. Ce sont les dynastes Mouradites et surtout les Husseinites qui vont faire renaître La Marsa en lui rendant une partie de la vocation première : être une zone de villégiature aristocratique.
AL KAMILA A part la Abdelliya subsistant aujourd'hui et le Bardo construits par les souverains hafsides, les « palais de plaisances » de la région de Tunis datent des Husseinites. Dar El Kamila est sans doute née, dans ses « grandes lignes » à la fin du XVIIIème siècle. Les consuls étrangers, peut-être séduits par « l'art de vivre à La Marsa », sans doute pour être à proximité du « centre du pouvoir », sollicitèrent l'octroi de résidences d'été aux alentours des palais que les Beys husseinites, leurs ministres et les notables avaient fait construire tout autour de La Marsa. C'est vers 1770, que le consul de France M. Barthélemy de Saizieu allait être l'objet d'une faveur spéciale du Bey Ali Ben Hussein qui lui a concédé, ainsi qu'à ses successeurs, « la jouissance gratuite comme maison de plaisance d'un immeuble beylical situé à La Marsa sous réserve d'y faire les réparations d'entretien nécessaire ... ». Ce geste était le prolongement de faveurs spéciales antérieures : un siècle plus tôt : en 1660, un local : « Le Fondouk des Français » était accordé au consul de France, en pleine ville. Il sera remplacé, en 1861, par la construction d'un bâtiment plus moderne : l'actuelle Ambassade de France. A cette époque, un diplomate écrit que : « de sa fenêtre, il voit une étendue marécageuse parsemée de petites Kouba blanches et parcourue par des troupeaux de moutons ... » c'est le quartier qui s'étend actuellement de part et d'autre de l'avenue Habib Bourguiba ! Cependant la résidence accordée au consul de Saizieu semble être une petite Abdelliya hafside construite près de la mer et aujourd'hui disparue. C'est au milieu du XIXème siècle que Mhamed bey attribua, en toute amitié, une nouvelle résidence d'été, à La Marsa, au consul de France : M. Léon Roches. Elle s'appelait à l'origine « Borj El Monastiri » du nom de son constructeur. Elle pourrait avoir été habitée par Hussein II. Puis, elle avait été offerte au ministre Mustapha Khaznadar qui l'avait ensuite cédée à Ismaïl Sounni. Il se « chansonne » que le consul d'Angleterre avait ressenti une vraie jalousie et avait abondamment intrigué pour qu'une résidence, au moins aussi belle que celle octroyée au consul français, lui soit donnée. Il finit par obtenir l'actuelle résidence d'Angleterre. Al Kamila a été louée en 1856 par M. Léon Roches qui la fit restaurer. En 1857, il pouvait y recevoir le Bey Mhamed venu lui rendre visite en voisin et ami. Puis, les Consuls Généraux ont pris l'habitude de s'y installer durant la belle saison. A partir de 1881, ce sont les Résidents Généraux qui l'occupaient. Depuis 1962, les Ambassadeurs de France en ont fait leur résidence principale. Al Kamila, à l'origine, était un « Borj » traditionnel tel que certaines familles de riches tunisois s'en faisaient construire à cette époque. C'était une habitation surélevée, dotée d'un puits et de communs, construite au milieu de champs et de vergers et souvent entourée d'une clôture destinée à la protéger. Elle s'étendait, d'un seul tenant jusqu'à la mer à proximité de la zaouïa consacrée à Sidi Salah. Actuellement, une rue sépare la Résidence proprement dite et son parc, de l'habitation du Consul Général entourée d'un grand terrain arboré. L'ensemble des jardins et des bâtiments a été remanié à plusieurs reprises mais le plan général n'a pas été bouleversé. Au niveau inférieur, se trouve le « makhzen » aux voûtes basses soutenues par des piliers massifs. Il était destiné à contenir les réserves de vivres. Au niveau supérieur, les appartements des femmes donnent sur une cour d'où monte l'escalier, gardé par des lions couchés, conduisant aux pièces d'apparat. Le patio si élevé qu'un escalier très raide y conduit et la cour sont hérités du plan original. Le bassin central bordé d'une allée circulaire a été remplacé par une citerne couverte d'un dallage et d'une élégante vasque en marbre « à l'italienne ». Mais, l'entrée du « gynécée » est d'une élégance rare. Au siècle dernier, la nécessité de disposer de pièces d'habitation confortables et de salons de réception en harmonie avec les obligations imposées par l'instauration du Protectorat entraîna un remaniement important de l'aile de l'ancienne résidence consulaire. De grandes baies avec leur balcon en encorbellement ou leur vitrage polychrome et leur moucharabieh traditionnel ouvrent sur le parc. Dès l'allée centrale, des carreaux de céramique décorent les murs de leur bestiaire naïf, de leurs guirlandes ou de leurs entrelacs multicolores. La lumière dorée des lustres ou celle du soleil, tamisée par les rideaux, fait « chanter » la patine des boiseries et des hauts plafonds à caissons peints, dorés et polychromes. Des tapis somptueux, d'Orient et de Kairouan, se marient, sans heurt, au mobilier classique européen. L'ancien « makhzen » a été transformé en un curieux et accueillant « café maure ». Tandis qu'à l'étage supérieur, dans un espace récent dont la voûte en briques est inspirée de l'architecture du Jérid, une très grande salle à manger d'apparat à pris place, naturellement. Au rez-de-chaussée, la cour d'honneur ouvre sur le parc par des portiques à colonnes soutenant des arcs outrepassés rayés à claveaux noirs et blancs qui reposent sur les volutes de chapiteaux en marbre. De grands arbres, d'essences diverses, des parterres de fleurs, des allées parcourues de sages rigoles qui rappellent les seguias irriguant les champs du « Borj » encadrent et rythment les espaces engazonnés du parc qui sert d'écrin à la demeure et à ses anciens communs. Le long des allées ou à l'ombre d'un bosquet, des sculptures antiques ou modernes semblent « animer » la végétation. Un joli kiosque en bois ouvragé et peint offre aux promeneurs un repos curieux et coloré. A l'instar du Palais Farnese, Résidence de France à Rome, et d'autres ambassades, Dar El Kamila ouvre ses portes le dimanche 20 mai à partir de 15 h. les visiteurs pourront, au cours de leur promenade dans le parc, admirer plusieurs expositions. Ils y rencontreront une présentation de l'histoire de ce lieu réalisée par les élèves du lycée Gustave Flaubert, une exposition des peintures et des dessins d'Emmanuel Michel, un artiste résidant actuellement en Tunisie et un grand choix de photographies d'Anis Mili. Naguère, une grande exposition de sculptures avait attiré, dans le parc, durant un grand moment, un public curieux qui reviendra, à n'en pas douter, hanter Dar El Kamila, toujours aussi superbement jeune.