Entrée, depuis quelques années, dans les mœurs, en Tunisie, sous l'effet d'une modernisation qui gagne tous les aspects de la vie, l'industrialisation du rite du sacrifice accompagnant la célébration de l'Aïd El Idha, tend à s'amplifier, sous nos cieux, avec la bénédiction des uns et une touche de nostalgie mêlée de regret chez la grande majorité. En effet, sacrifiant au goût du jour et à la facilité que procure le progrès, beaucoup de citoyens tunisiens, préfèrent, désormais, acheter des carcasses de bêtes toutes prêtes ou des quantités de viande réfrigérée, pour célébrer l'Aïd El Idha, plutôt qu'à supporter les multiples tracasseries occasionnées par l'achat et l'abattage d'un mouton vivant. Déjà, même chez les partisans de l'achat et de l'abattage de bêtes vivantes qui constituent la grande majorité, on commence à laisser l'opération d'achat au dernier moment. Aussi, dans les quartiers populaires et les zones de concentration de la classe moyenne où l'on s'attache, encore, à la pratique du rite, conformément à la tradition, le spectacle des enfants paradant, joyeusement, dans les rues avec le mouton familial s'est réduit dans le temps et l'espace. On n'y entend plus, comme autrefois, quinze et vingt jours à l'avance, ce chœur ''charmant'' des bêtes bêler, pour exprimer, dans leur langage propre, comme l'homme par des cris, la douleur de la séparation ou celle de la faim et de la soif. Interrogés, certains citoyens ne cachent pas leur regret de voir '' el lamma'' de l'Aïd (réunion) autour du mouton vivant, le jour du sacrifice, se perdre.
Spectacle Pour eux, rien ne saurait remplacer le spectacle de toute la famille réunie, le matin du jour de l'Aïd, autour du mouton vivant apprêté, avec soin, pour le sacrifice, au milieu des odeurs énivrantes de l'encens brûlant dans le canoun. On dit que l'odeur de l'encens aide à endormir le mouton et à l'anesthésier de sorte qu'il passe l'épreuve du sacrifice sans douleur ni souffrance. D'ailleurs, le marché de l'encens prospère, à l'occasion de l'Aïd El Idha, à l'image du celui du mouton vivant. Tous les ménages en achètent pour la circonstance et on peut voir, actuellement, sur les trottoirs de la rue El Jazira, à Tunis, en particulier, une longue file de marchands d'encens exposant leurs marchandises, aux clients, sur des étals de fortune, à même le sol. Confrontés à l'argument de certains spécialistes recommandant de retarder l'achat du mouton vivant pour éviter de créer des liens intimes entre lui et les enfants et d'affecter leur sensibilité par son abattage, le jour de l'Aid, ces mêmes citoyens renvoient ces spécialistes à l'origine du rite. Ils disent que le rite du sacrifice du mouton et autres bêtes similaires, à l'occasion de l'Aïd El Idha, a été, justement, institué, en remplacement du sacrifice des enfants et des hommes en général qui était courant, dans les anciennes sociétés. Il s'agit, donc, d'une véritable révolution dans les mœurs humaines. Aussi, de telles adaptations risqueraient, selon eux, de faire perdre ou de cacher l'essence de ce sacrifice et sa signification originelle qui est éminemment positive. L'Aïd doit, donc, fournir une occasion renouvelée pour rappeler cette vérité aux jeunes et aux enfants et les en imprégner, en présentant ce sacrifice comme un acte réhabilitant et revalorisant l'être humain.