Oui, les Tunisiens sont déçus : ils ne s'attendaient pas à voir défiler devant leurs yeux ce manège, plutôt, cette parodie de justice. Oui, les exposés de Samir Tarhouni ont semé le doute dans leur esprit plus qu'ils n'en ont dissipé. Du moins, en ce qui concerne la justice, on est aujourd'hui certain que le système kafkaïen de toujours, a encore de beaux jours devant lui. Et quand aux scenarii rocambolesques de l'aéroport, le 14 janvier, il est presque établi qu'on a attrapé la famille et qu'on a laissé partir Ben Ali et son épouse. Trop de zones d'ombre, en effet ; trop de non-dits, une espèce d'Omerta (la loi du silence au sens mafieux du terme) qui font que la mutation démocratique tourne en rond, précisément parce que Gouvernement, Haute Instance et UGTT, sont dépourvus de repères. Dossiers détruits ; documents aux mains de maîtres chanteurs ; hauts faits frappés du sceau de la solennité du secret d'Etat (secret de polichinelle, en fait !) et l'inévitable redéploiement du « comique » après celui du « tragique », dans le sens marxiste du terme. Au demeurant, comme cela se produit dans tout processus révolutionnaire, il fallait bien s'attendre à ce que les forces de rétention fassent de la résistance. Mais, là, c'est bien plus que de la résistance : elles sont actives, mais invisibles : infiltrant l'administration – l'ont-elles jamais quittée, d'ailleurs – et, surtout, les partis politiques, dont le cheval de Troie pourrait être Ennahdha, le 23 octobre. Le parti de Ghannouchi recrute, en effet, tous azimuts. Chez les cupides et les miséreux (auxquels il paie la facture d'électricité), autant que chez les petits bourgeois, soucieux de préserver leurs petits privilèges ainsi que chez les nouveaux gros bonnets, c'est-à-dire, les nouvelles grosses fortunes dont l'ambition est de faire coïncider, politique et business, avec la bénédiction « charnelle » de la foi !... Cela suffit, pour absoudre Ennahdha de présomption diffuse de connexion avec les salafistes, espèce d'électrons libres, néanmoins, épars et pour tout dire mal organisés. Ils restent, toutefois, preneurs dans toutes les mouvances et dans toutes les révoltes. C'est le propre de l'intégrisme. Mais à l'évidence, il n'y a pas qu'eux qui soient enclins aux alliances contre-nature. Car les manifestations d'hier auront été édifiantes quant à l'extrémisme de Hamma Hammami et de Moncef Marzouki. Leurs partis respectifs gardent les mêmes clichés idéologiques du temps de leur dissidence à l'époque de Ben Ali. Tout cela c'est du passé. Et ce qui est sûr c'est qu'ils ne sont pas en droit de faire du contexte un prétexte. Car, mine de rien, l'UGTT s'y est plantée elle aussi.