Que ferez-vous de cette démocratie, messieurs les gagnants ? Que ferez-vous de la République ? Que ferez-vous de notre Histoire ? Et surtout quelles intentions avez-vous envers notre identité et envers la laïcité, legs incontournable d'une civilisation trois fois millénaire ; berceau de ce brassage pluti-culturel, pluri-cultuel, la force de diversité et, finalement, la tolérance sans laquelle nous n'aurions jamais pu vivre ensemble. Les urnes s'apprêtent à rendre le verdict historique. La Démocratie, dont les observateurs disent qu'elle ira à bon port, s'accomplit et renaît, trois mille ans après en Tunisie, depuis Carthage avec son parlement « les suffitats ». Mais c'est une démocratie fatalement fragile, qui bégaiera, qui provoquera ces ébranlements sur le sol de nos vieilles certitudes. Hier, les Tunisiens se sont réveillés avec la gueule de bois. A l'ivresse de dimanche succède l'expectative, la jubilation tranquille des Nahdhaouis, la résignation du PDP, la surprise que provoque le CPR et le sprint final d'Ettakatol. A l'heure où nous livriions ce journal à l'impression, les jeux, à l'évidence, n'étaient pas encore (définitivement) faits, mais les dés étaient jetés. On a parlé de dépassements, de vote orienté, de manœuvres d'Ennahdha en faveur du CPR et d'Ettakatol. En fait, si cela s'avérait vrai, il s'expliquerait quelque part : le jeu du scrutin proportionnel n'attribue pas forcément le plus grand nombre de sièges à celui qui a obtenu le plus de voix. Les alliances se feront donc. Mais trop de regroupements bloqueraient la dynamique de la Constituante. Et de surcroît, on a bien vu qu'Ennahdha et le CPR que tout sépare idéologiquement et religieusement se rejoignent. Devons-nous avoir peur pour nos acquis ? Ennahdha se veut rassurant et affirme n'avoir guère l'intention de toucher aux femmes, et de n'avoir guère de problèmes avec le string, le tourisme, ni encore avec ceux qui ne se rendront pas aux mosquées. Le modèle que prône Cheikh Rached ? La Turquie. Mais il serait inspiré de relire la Constitution turque. Et finalement qu'est-ce qui est possible et qu'est-ce qui est impossible avec Ennahdha ? Ecoutons plutôt Sherlock Holmes : « Quand nous aurons éliminé toutes les impossibilités, il ne restera que des probabilités ».