• «La Chariaâ n'a jamais quitté la Tunisie pour qu'on proclame aujourd'hui sa restauration», déclare Rached Ghannouchi Le parti islamiste Ennahdha vient d'opérer un prudent virage vers le centre de l'échiquier politique national en décidant de maintenir inchangé le premier article de la Constitution de 1959 stipulant que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain: sa religion est l'islam, sa langue l'arabe». «En ce qui concerne l'inscription de la Chariâa dans la nouvelle constitution en cours de rédaction, il a été décidé de maintenir le premier article de la Constitution de 1959 », précise le parti dans un communiqué publié dimanche soir à l'issue d'une réunion de son comité constitutif qui a duré deux jours (samedi et dimanche derniers, NDLR). Autant dire que le parti islmaiste, qui compte 89 élus sur un total de 217 à l'Assemblée Constituante, renonce ainsi officiellement à l'inscription de la Chariaâ dans la nouvelle Constitution en cours de rédaction. «Notre position est très claire d'autant plus que le premier article de la Constitution de 1959 stipule clairement que l'Islam est la religion de l'Etat. Il fait également l'objet d'un large consensus», souligne Ameur Laârayedh, membre du Bureau politique d'Ennahdha, tout en notant que son parti s'attache à l'identité arabo-musulmane de la Tunisie, aux valeurs morales islamiques et au régime républicain. Le comité constitutif d'Ennahdha a ainsi tranché quant aux divergences qui opposaient ses diverses ailes au sujet de la place de la Charia dans la future Constitution. Cette question a d'ailleurs révélé au grand jour l'ambivalence du parti islamiste fondé par Rached Ghannouchi en 1981. Le parti élu sur un programme en 365 points qui mettait en avant une intention démocratique attachée au respect des libertés et ne comportait aucune mention de la Chariâa a été jusque-là écartelé entre ses engagements électoraux et le souci de ne pas s'aliéner l'aile la plus radicale du parti. Les colombes l'emportent sur les faucons Très proche de la mouvance salafiste, l'aile dure est, entre autres, représentée par des membres du Bureau politique du parti, dont Habib Ellouze, Sadok Chourou ou encore Habib Kheder qui ont défendu bec et ongles l'inscription de la Chariâa dans la Constitution comme principale source de la législation. «Ennahda est pour la charia. Il n'y a pas de contradiction entre charia et droits de l'Homme, démocratie, liberté, et égalité hommes-femmes. Nous sommes tous sur cette compréhension de la charia et le peuple tunisien restera uni sur ces principes », martelait tout récemment Habib Ellouze. Rapporteur général de la commission chargée de la rédaction de la Constitution, Habib Kheder, est allé jusqu'à déclarer que son parti «préfère renoncer au pouvoir qu'à renoncer à ses principes» ! D'autres dirigeants d'Ennahdha ont, quant à eux, plaidé pour le caractère civil de l'Etat. «La Chariaâ n'a jamais figuré dans le programme d'Ennahdha. D'autant plus que nous croyons que le droit tunisien est globalement en phase avec la loi islamique», avait notamment souligné Noureddine Bhiri, membre du Bureau exécutif du parti islamiste et actuel ministre de la Justice. La reconduction du premier article de la Constitution de 1959 sonne, donc, comme une victoire des colombes face aux faucons au sein d'Ennahdha. Refus d'une islamisation de la société par le haut Selon les observateurs, le chef historique du principal parti islamiste tunisien, Rached Ghannouchi, aurait été à l'origine du compromis relatif au rejet de la Chariaâ. Deux jours avant la tenue de la réunion décisive du comité constitutif, le cheïkh Rached comme l'appellent ses partisans avait suggéré, lors d'un meeting tenu à El Kabbaria, la reconduction du premier article de la Constitution de 1959 . « Le mieux serait de reconduire cet article qui permet d'avoir une Constitution consensuelle. Et puis, si on passe au vote, l'inscription de la Chariâa peut ne recueillir que 51% des voix des élus , voire même moins surtout que nos alliés ( le Congrès pour la République er le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés ,NDLR) s'y opposent », a-t-il déclaré. Le leader d'Ennahdha a également noté, à cette occasion, que «la Chariaâ n'a jamais quitté la Tunisie pour qu'on réclame aujourd'hui sa restauration », indiquant que « le droit tunisien est inspiré à hauteur de plus de 90% de la loi islamique». M. Ghannouchi a, par ailleurs, rappelé que l'application de la Chariâa ne figure pas parmi les objectifs de la révolution. « Le slogan de l'application de la charia n'a jamais été scandé lors de la révolution contre le régime de ben Ali. Nous refusons aussi l'islamisation de la société par le haut. Si le peuple demande un jour l'instauration de la Chariâa, on pourra à ce moment là amender la Constitution », a-t-il affirmé.