Ils ressemblent étrangement à la vie, ces poissons qui s'étalent tous les matins au marché central… Il y a ceux qui sont beaux, luisants, élégants. Ils sont populaires, ils ont la cote et n'ont pas besoin d'être vantés par les marchands, ni de bénéficier de rabais ou d'écriteaux en grandes lettres pour se vendre. Ce sont les premiers de la classe, ceux qui ont toujours eu la vie facile, avant de tout perdre et de venir s'étaler chez le poissonnier. Et il y a ceux qui ont une sale tête, ceux qui semblent méchants et peu commodes. Comme dans la vie, ils sont délaissés, on les évite et nul à sa table ne les invite. C'est la lie de la société, les laissés pour compte, les délaissés, les déclassés. Leurs prix doivent être régulièrement abaissés, rabaissés pour pouvoir trouver preneur, pour se faire accepter. Il y a aussi les mollusques, glauques et mous à souhait, collants et gluants et l'on n'achète que contraint et forcé. C'est à se demander s'ils ne sont pas une faute de la nature, une tache, une erreur de casting, comme dans certains mauvais films. Il y a enfin les moules et les clovisses, enfermés volontairement dans leur coquille et qui se soumettent à leur destin en silence, avec soumission et obéissance. Personne ne leur parle, nul ne les connait, et pourtant ils sont là, vivants parmi les vivants. Et comme on dit dans les livres et dans les films, toute ressemblance avec les hommes, avec de vrais gens est évidemment fortuite…