Ça y est : par milliers, les Sunnites affluent sur Tikrit pour se prosterner devant la tombe de leur « martyr » Saddam ! C'est le nouveau pèlerinage des Sunnites, dans ce qui sera sans doute un temple un jour, nouveau pôle d'un conflit inter-musulman et près de treize siècles après la décapitation d' « Al Houcine », petit-fils du Prophète et dont le martyr a été, depuis, récupéré et instrumentalisé par les Chiites. Aurait-il été de ce monde, l'auteur de « La Grande discorde », Taha Hussein aurait remis son ouvrage au (mauvais) goût du jour. Jusque-là nous avions tout imputé à Bush. Mais ce drame, ils ont quand même été à deux pour le « réaliser » : Saddam et précisément Bush. Si drame il y a à l'échelle arabo-musulmane, Jean Paul Sartre* l'aurait décortiqué ainsi : le dictateur irakien en serait l'unité totalitaire ; le dictateur américain en serait la totalité unitaire. Le premier était dans une logique d'épuration ethnique, le deuxième est dans une logique de ratissage religieux : il confond entre Monde arabe et Monde musulman. En réhabilitant les chiites irakiens, il croit pouvoir neutraliser le chiisme iranien et en finir avec les dernières évanescentes velléités du nationalisme baâthiste. Confusion. Ignorance. Très mauvaise lecture des hautes turbulences de ce mariage arabo-musulman qui n'a jamais réussi à cause des conflits de classe , de la logique tribale s'étant carrément déclarée avec l'assassinat de Othman et qui aura été le nœud gordien dans cette interminable guerre entre « Mouaouia » (soutenu par Aïcha, la femme du Prophète) et Ali Ibn Abi Taleb, son gendre « prophète » sans le vouloir du chiisme à travers les âges et jusqu'aux tourments actuels et à venir. Demandez à Bush s'il sait quelque chose sur le martyre d'Al Houcine ? Et, d'ailleurs, demandez-lui qui fut Al Houcine ? Il n'en sait fichtrement rien. Car, l'aurait-il su, il n'aurait pas laissé Al Maliki signer la mise à mort de Saddam. Maintenant, les Américains sont confondus : ils disent avoir essayé de reporter la pendaison de l'ex-dictateur… Peut-on croire qu'un pantin tel Al Maliki eut provoqué ce cataclysme sans assurer ses arrières ?.. Et, d'ailleurs, durant trois ans, jour pour jour, et jusqu'à sa pendaison, Saddam était aux mains des Américains : comme un otage de guerre. Ses gardes américains ne le délivraient au Tribunal « irakien » que pour le récupérer aussitôt l'audience finie. Si Washington avait refusé de délivrer Saddam et, s'il l'avait fait, véhémentement, Al Maliki n'aurait pas signé ce document, obstruant même la signature de son président (kurde). Point de controverse jurisprudentielle, mais qui n'apportera sans doute rien. Car, au bout du compte, Bush s'en laverait les mains et à la limite, il répondrait en ces termes : « Ce sont vos oignons, vous autres musulmans ». Dans ses éternelles convulsions, l'histoire arabo-musulmane retiendra qu'un Chiite a pendu un Sunnite le jour de l'Aïd. Les faits se dilueront. Tikrit sera un lieu de pèlerinage ; un dictateur rejoindra le panthéon des martyrs et personne ne se souviendra plus de Bush et du rôle qu'il a joué pour enclencher la (nouvelle) « Grande discorde »… Car, treize siècles après, qui se rappelle encore le rôle joué par les Juifs pour convaincre Mouaouia d'exterminer la descendance du Prophète Mohamed ?
Raouf KHALSI *Dans « Les Carnets de la drôle de guerre » J.J.P.S dessine ces singuliers portraits des dictateurs.