Dans cette affaire qui devient une sorte de feuilleton à plusieurs épisodes, peut-on affirmer, comme l'ont déjà fait certains, dont les avocats de la défense, que Sami Fehri est victime d'acharnement ? Ce serait, à cause non pas des faits qui lui sont reprochés, mais pour l'audace qu'il a eu de faire des critiques contre les parties de la Troïka, en poussant le bouchon très loin. Cela dit, il ne faut pas faire l'amalgame entre son inculpation pour les faits dont il est accusé, avec un certain nombre de personnes appartenant au régime déchu, et la procédure en vertu de laquelle il a été incarcéré et au jour d'aujourd'hui maintenu en détention, malgré un arrêt de la cour de cassation, annulant la décision de la chambre d'accusation. Les avocats de la défense, qui ont soulevé devant la cour de cassation, le défaut de procédure, se trouvent avec le maintien de leur client en détention, entre déception et consternation
Des évènements qui vont crescendo Accusé de complicité dans une affaire de corruption, Sami Fehri a été entendu plusieurs fois par le juge d'instruction qui, à la clôture de l'enquête a renvoyé le dossier devant la chambre d'accusation, laquelle a délivré un mandat de dépôt à l'encontre de Sami Fehri, en date du 24 août 2012. Sami Fehri, qui était encore en liberté était soupçonné de vouloir se dérober à la Justice, avec l'intention même de fuir à l'étranger. Cependant, après avoir fait une déclaration sur vidéo pour dire qu'il n'était pas au-dessus de la loi et qu'il se soumettrait à toutes les décisions judicaires le concernant et joignant les actes à la parole, il s'est rendu à la Justice pour passer sa première nuit en prison le 30 août 2012. Ses avocats entament une procédure devant la cour de cassation, dans l'intérêt de leur client, en vue d'annuler l'arrêt de la chambre d'accusation. Ils ont en appui de leur action invoqué le vice de procédure, l'atteinte aux intérêts de l'accusé et la violation des droits de la défense,
Premier coup de théâtre : Le 13 novembre dernier, la cour de cassation a reporté l'examen du recours au 20 du même mois. Les avocats de la défense étaient confiants de la suite qui sera réservée à cette affaire par la cour, estimant que les motifs de droit qu'ils ont présentés, étaient fondés.
Deuxième coup de théâtre Toutefois le jour J, il s'est avéré, qu'un autre accusé dans la même affaire, a récusé la présidente de la même chambre de la cour, chargée d'examiner le recours de Sami Fehri. Ce qui a amené le président de la cour, à charger une autre chambre, de l'examen de cette affaire, et par là même le renvoi à une date ultérieure.
Troisième coup de théâtre Les avocats de la défense ainsi que leur client, ont pris leur mal en patience, pour attendre encore quelques jours. On leur apprend que la nouvelle chambre de la cour décidera enfin du sort de Sami Fehri le 28 novembre. Ils s'attendaient, ainsi que sa famille, à la libération de leur client. Dans la matinée d'hier, sa libération était enfin imminente, c'est la cour qui l'a décidée. L'avocat général, représentant le ministère public à la cour de cassation envoie un premier télex au directeur de la prison en vue de libérer Sami Fehri. Les membres de sa famille attendaient devant la prison de Mornaguia, ses avocats aussi. Les heures passent, et Sami Fehri a rangé ses affaires, et fait ses adieux à ses compagnons de cellule. Mais à 11 heures du soir le directeur de la prison, informe les avocats de Sami Fehri, qu'il a reçu un deuxième télex, en vertu duquel l'avocat général s'est rétracté : leur client est maintenu en détention. Les avocats tombaient de haut. Ne croyant pas leurs oreilles, ils sont encore sous l'effet du choc. Me Bechir Essid, ainsi que Me Sonia Dahmani ont déclaré que c'est pour la première fois dans les annales de la Justice qu'une juridiction se rétracte dans sa décision le même jour, et dans un laps de temps aussi court.
Qu'en est-il juridiquement ? Il faut dire que les avis sont partagés, et le ministère de la Justice ne s'est pas encore prononcé en ce qui concerne cette rétractation qui n'est pas monnaie courante, sauf quand il s'agit d'une erreur sur la personne ou d'une confusion entre deux dossiers différents. -1) La décision de la cour ne concerne pas la libération de Sami Fehri, mais elle était fondée sur le vice de procédure,à savoir la violation des droits de la défense et l'atteinte aux intérêts de l'accusé.
Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire Tunisien de l'Indépendance de la Magistrature, a confirmé ce point de vue, ajoutant tout de même que la chambre d'accusation pouvait décider d'elle-même la libération de l'accusé ; ce qu'elle n'a pas fait et c'est la raison qui explique le maintien de l'intéressé en détention. La décision doit être exécutée à la lettre ; or selon les termes du jugement, il n'est pas question de libération. Pour ceux qui affirment que c'est le ministère de la Justice qui a incité à cette rétractation, on avance un argument de taille : le ministère de la Justice représente le pouvoir exécutif, et préside le conseil supérieur de la Magistrature. 2) La décision de la cour de cassation ayant annulé l'arrêt de la chambre d'accusation, implique de facto qu'elle n'est plus imposable à l'intéressé qui réintègre sa situation initiale, c'est-à-dire recouvrer sa liberté. Cela dit, rien n'empêche les avocats de présenter une demande de libération à la chambre d'accusation qui sera chargée du dossier, maintenant que la décision de la cour a été favorable à la défense.