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Kerkennah, l'ile de légende
Redécouvertes
Publié dans Le Temps le 26 - 08 - 2007

On nous a raconté, à plusieurs reprises, que, du haut des immeubles les plus élevés de Sfax, on pouvait apercevoir, à l'horizon, vers l'Est, un filet gris qui souligne le bleu des flots :
l'île Sud des Kerkennah, Mellita. Avec les « yeux du cœur », peut-être ! Il y a bien longtemps, avant l'Indépendance - plus d'un demi siècle déjà ! - la première vision que nous avons eue de ces îles a été un enchantement après le moutonnement trop régulier des oliviers de la région de Sfax. Nous avons cru approcher une île de légende, un atoll du Pacifique tant la haute ligne des palmiers, surgissant de la mer et se multipliant de toutes parts, créait l'illusion. A l'époque, notre petit bateau qui avait pourtant moins d'un mètre de tirant d'eau ne pouvait s'amarrer et rester à flot à marée basse qu'au bout du môle de Sidi Frej construit pour les « bateaux » de l'Administration.

L'archipel
Nous venons d'évoquer une particularité des îles Kerkennah aux villages orientés vers la mer et qui ne vivaient que pour la mer, contrairement à Jerba commerçante, aux aspects variés. C'est un archipel isolé par les hauts-fonds et les bancs de sable qui l'entourent. Il connaît un phénomène de marée, unique en Méditerranée, qui peut atteindre près de 2 mètres d'amplitude en période de vives eaux. Les hauts-fonds commencent très loin, au Nord, tout de suite après le Ras Kapoudia de la Chebba. Ils s'étendent énormément vers l'Est. La ligne des fonds de 20 mètres passe à plus de 20 kilomètres de Kerkennah et continuent vers le Sud au-delà de la frontière tuniso-libyenne. Les herbiers de posidonies du Golfe de Gabès sont un des poumons et une des principales frayères de la Méditerranée.
L'île Sud était pratiquement déserte jusqu'au XVIIIème siècle. C'est à la suite d'une dissension avec les Ouled Bou Ali qu'une partie de leurs voisins, les Melliti sont venus s'y installer, fondant ainsi une deuxième Mellita. La grande palmeraie qui couvre l'île, superbe en automne avec ses régimes de dattes dorées ou orangées, crée l'illusion d'une île déserte dès qu'on s'éloigne du débarcadère de Sidi Youssef.
La grande île est, séparée de Mellita par un petit détroit, appelé El Kantara, et parcouru par de violents courants de marée. Les ruines d'une chaussée de l'époque romaine affleurent. L'île Nord est appelée Kerkennah, dérivé de son nom antique. Hérodote déjà mentionne « Kyranis » et les auteurs romains parlent de « Kerkina » ou de « Cercina » (le « C » se prononçant « K »). L'archipel semble prendre le nom de « Querqenah » à partir de la conquête arabe.

L'histoire
Sous son calme actuel, l'archipel cache une histoire tumultueuse, souvent romanesque. Il aurait été peuplé à l'origine, par des compagnons du héros d'Homère : Ajax, revenant du siège de Troie, prétend Hérodote. L'archipel a sûrement été occupé par les Carthaginois qui y ont introduit, peut-être, la culture de la vigne et de l'olivier.
Hannibal s'y réfugie pour échapper aux Romains en 195 avant J.C. à l'instar du Président Bourguiba pourchassé par les Autorités du Protectorat et fuyant en Libye. Le Consul Romain Marius - le vainqueur de Jugurtha - et son fils s'y réfugient, un moment pour se protéger de Sylla leur adversaire. Salluste, l'auteur de « La Guerre de Jugurtha » va y chercher du blé pour nourrir l'armée de César qui guerroie dans le Sahel. Au début de notre ère, Caius Gracchus, patricien romain, y est déporté pour avoir eu des « relations coupables » avec Julie, la fille d'Auguste. L'empereur Tibère l'y fera exécuter. Devenue chrétienne, elle est administrée par des fonctionnaires byzantins résidant à Sousse / Hadrumetum.
Ce n'es qu'au XIème siècle, que les Arabes mentionnent que l'archipel est aux mains du Ziride Tamim, fils d'El Moizz en 1098.
Les Normands de Sicile la conquièrent à plusieurs reprises. Puis les Espagnols s'y installent au XIIIème siècle. Mais en 1335, les insulaires s'insurgent contre les Chrétiens et recouvrent leur indépendance. En 1356, Ahmed Ben Mekki enlève Sfax aux Hafsides et se trouve à la tête d'un petit Etat qui va de Safx à Misurata en Libye et qui comprend aussi Jerba et Kerkennah.
Le 5 décembre 1423, 2000 kerkenniens tentent en vain d'empêcher près de 10.000 Aragonais de débarquer. Puis l'archipel est l'enjeu des luttes qui opposent les Turcs aux Espagnols. Le Raïs Darghouth le reprend aux Siciliens. Puis les corsaires « barbaresques » vont faire régner leur loi en ces eaux. La « Régence de Tunis » établit sa souveraineté sur l'archipel.
Selon les dires des « vieux Kerkenniens » le plus ancien village serait peut-être Mellita de la Grande île près d'Ouled Bou Ali. On ne sait pas exactement quand la ville antique Cercina a cessé d'être habitée. Une partie de ses ruines est actuellement couverte par la mer. Récemment, de nombreux kerkenniens ont pris une part importante aux revendications syndicales et politiques qui ont conduit à l'Indépendance.

Quoi faire a kerkennah ?
On peut tout y faire, excepté un tourisme de masse qui consiste à offrir des séjours dans de - très - beaux hôtels en Tunisie à des prix dérisoires. Une « masse » de touristes ne peut certainement pas y séjourner, ne serait-ce que parce que l'espace manque et que l'évacuation des déchets et des eaux usées - au moins cela ! - poserait problème.
Il est souhaitable de se souvenir que Kerkennah est une - petite - île : une terre en symbiose avec la mer. Une terre - conservons lui son âme ! - caractérisée d'abord par l'intelligence - les jeunes kerkenniens sont très souvent les lauréats aux différents examens de l'enseignement tunisien ! - l'ingéniosité et le goût du travail de ses habitants alliés à leur attachement à leur île.
Pourquoi n'y construirait-on pas un « Institut de la mer » qui étudierait, en particulier, les problèmes des éponges ? Il y avait un établissement de ce type dès le début du siècle précédent à Sfax. La « pêche » des éponges, en plein renouveau, est une activité traditionnelle des Kerkenniens. A cet « Institut » pourrait être adjoint un - petit ? - musée océanographique qui étudierait et présenterait aux visiteurs les poulpes, au minimum, les poissons et les pêches traditionnelles de l'archipel. Plutôt qu'un hôtel de plus, pourquoi ne pas construire un établissement de Thalassothérapie ?
Dans le cadre d'une politique de développement durable, protégeant l'environnement, une relance de l'agriculture s'impose. Nous avons connu les terres couvertes de petits champs enclos de murets de pierres sèches surmontés de petits aloès mauve.
On y trouvait des arbres fruitiers : des grenadiers, des figuiers, quelques oliviers, des pastèques, des melons, des légumes, souvent de maigres céréales et des vignes qui permettaient de faire des raisins secs ou quelques dizaines de litres de vin dont on parle encore, comme de celui de Jerba ! La consommation de la population locale et des visiteurs garantirait l'écoulement des produits agricoles à bon prix. Le vin pourrait être « goûté » - il n'y en aura pas assez pour qu'on en boive vraiment ! - en tant que « vin nouveau » dans le cadre d'un festival automnal du poulpe : à la saison de cet octopode ! Quelques dizaines de visiteurs cultivés et aisés viendront sûrement durant deux à trois journées intéressantes qui pourront être renouvelées au printemps sur un autre thème : la mer ou la nature, par exemple. Deux fois, deux à trois jours « pleins » valent mieux qu'une semaine un peu « vide » et qui s'étire en longueur. En automne, les touristes viendront d'abord parce qu'on peut se baigner et « plonger » jusqu'au début décembre à Kerkennah. On peut y pêcher du bord ou en barque et visiter les implantations - éventuelles - artificielles d'éponges. On peut aussi faire de longues promenades au bord des plages ou parmi les innombrables palmiers aux « régimes » jaune d'or ou orange. Combien existe-t-il, en Tunisie, d'espèces différentes de palmiers ? On pourrait en planter quelques unes beaucoup à Kerkennah. Que fait-on des dattes et des palmes, du « legmi » et des « troncs » ? Pardon, les palmiers n'ont pas de tronc ! Le saviez-vous ? Les dames en visite pourraient s'intéresser à la « broderie » de Kerkennah. Mais oui, elle a existé ! A base de fils rouges, noirs, jaunes et verts, passés au point de croix, elle garnissait aussi bien de petites serviettes de services à thé, facile à acheter, que de grandes nappes et les douze grandes serviettes de « services de table », évidemment onéreux. Les Kerkenniennes ne seraient-elles plus capables de broder ? Les messieurs - et les dames ! - qui le souhaiteraient, pourraient participer à une partie de chasse. Actuellement, Kerkennah est une réserve de chasse, c'est-à-dire une chasse réservée ... à certains !
Nous avons connu Kerkennah très giboyeuse à l'époque où elle était très cultivée. Un renouveau de l'agriculture engendrerait une multiplication des perdrix et des lièvres. On pourrait organiser des parties de chasse, payées aux propriétaires des terrains qui seraient aussi les accompagnateurs des chasseurs pour surveiller le respect de la limitation du nombre de « pièces » prélevées. Voilà quelques idées sans compter la visite d'un musée privé intéressant, l'artisanat et la gastronomie locale qui mérite le détour : connaissez-vous les foies de rascasses (les gachech) au four, à la fin de l'hiver ?
Et quoi faire en mer ? D'abord naviguer ! Il est bien moins dangereux de sortir en barque que de conduire, en tous terrains, un « quad » lancé à 50 km / h qui peut à chaque capotage tuer son conducteur, faute d'un harnais de sécurité et d'arceaux de protection. Naguère, nous avions « insubmersibilisé » une barque « akeri » de 5.5 mètres sans bourse délier. Nous avions tapissé la partie haute des flancs et l'intérieur du pontage d'un revêtement, de 10 centimètres d'épaisseur, en polyester, récupéré dans les emballages à jeter. Il était fixé par de vieux filets de pêche retenus par des clous plantés dans le bois. De plus, la barque se redressait toute seule puisque le revêtement de polyester était fixé dans « les hauts » de la coque ! La barque étant - très artisanalement - inchavirable et insubmersible, que risquait l'équipage qui avait des gilets de sauvetage homologués ?
Et à partir de là, on peut offrir aux visiteurs tous les plaisirs de la mer et être rétribué. Cela existe depuis des décades le long des côtes marocaines, pourquoi pas à Kerkennah ? Les pêches à la ligne ou à la traîne la recherche des éponges et même la promenade en mer, dans une région où les vents ne sont jamais violents et où les hauts-fonds limitent la hauteur des vagues seraient une source de revenus. La chasse sous-marine pourrait être développée. Sur ces fonds sablonneux couverts d'algues, le moindre obstacle : épave ou rocher fixent le poissons. Nous en avons « exploités » et confectionnés de nombreux en jetant à la mer de vieux fûts à huile, de grands pneus complètement usés, des carcasses de voitures, etc ... Quelques mois après, ces « épaves » étaient occupées par ... des mérous, des sars, des araignées de mer, etc ...
Pourquoi n'essaierait-on pas de faire manger les grands bivalves : Pinna nobilis, les « huîtres », de la famille des méléagrines porteuses de perle en Mer Rouge, des crabes dont on se régalait en automne, des bigorneaux qui tapissent les rochers à fleur d'eau et des murex. Leur goût est très iodé, dites-vous ? Quel goût ont « les œufs de 100 jours » cuits à la chaleur du fumier durant ce laps de temps de la cuisine vietnamienne ? Pourquoi se presse-t-on dans les restaurants chinois ou thaïs ? Certainement pas pour goûter un steak de dinde !
Par ailleurs, nous nous souvenons avoir vu de merveilleux petits personnages, entièrement composés de coquillages ramassés sur les plages collés les uns aux autres selon le goût de ... l'artiste. De plus, quel mécène fera, un jour, reconstruire un « loud » pour ... que ce mystérieux bateau ne disparaisse pas à jamais ?
Les Kerkenniens ont réalisé une véritable symbiose de la terre et de la mer. Elle pourrait être pérennisée sans gros efforts et Kerkennah conserverait son âme.


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