Aziz Krichène, dirigeant du CPR et conseiller politique du Président de la République: “La loi ne passera pas, Ennahdha ne la présentera pas car on ne peut pas s'amuser à quelques mois des élections à jouer avec la loi pour gêner tel ou tel adversaire politique !" Mehrezia Laâbidi, première vice-présidente de l'ANC “Les déclarations de Aziz Krichène n'engagent que sa personne; l'Assemblée constituante étant la seule instance habilitée à trancher cette question" “La loi dite d'immunisation de la révolution qui stipule l'exclusion des ex-responsables du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD, ex parti de Ben Ali dissous par la justice) de la vie politique pour 10 ans ne passera pas à l'Assemblée nationale constituante". La prophétie faite en décembre 2012 par Béji Caïd Essebsi, dont le parti, Nidaâ Tounes, est accusé de servir de cheval de Troie pour le retour des cadres du RCD, semble de plus en plus réalisable. Et pour cause! Après avoir été l'un des fervents défenseurs de ce projet loi présenté à l'Assemblée nationale constituante par cinq groupes parlementaires, le Congrès pour la République (CPR) a fait machine arrière. Dirigeant de ce parti de centre-gauche allié au mouvement Ennahdha aux côtés du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés ( FDTL ou/ Ettakatol) Aziz Krichène a déclaré tout récemment sur le plateau de la chaîne d'informatioon France 24 que la loi sur l'immunisation de la révolution ne sera pas votée par l'Assemblée nationale constituante. “ Cette loi ne passera pas. Ennahdha ne la présentera pas. La politique c'est toujours de la rhétorique et du réalisme. On ne s'amuse pas à quelques mois des élections à jouer avec la loi pour gêner tel ou tel adversaire politique", a insisté M. Krichène qui est par ailleurs le conseiller politique du Président de la république. Et d'ajouter: “ Si cela aurait été fait il y a un an, cela aurait peut être eu un sens. Aujourd'hui , l'adoption de cette loi ne peut avoir qu'un sens négatif . En Tunisie, il y a aussi des gens responsables dans tous les partis".M. Krichène ne fait, en réalité, que reprendre l'avis déjà exprimé par le Président de la République Moncef Marzouki début mars. “ Je suis contre l'adoption de la loi sur l'immunisation de la révolution dans la mesure où elle apportera bien plus de mal que de bien", avait déclaré le président d'honneur et le fondateur du CPR. Avis partagés Répondant du tac au tac aux déclarations du conseiller politique de Marzouki, la première vice-présidente de l'ANC a estimé que la balle est désormais dans le camp de l'unique institution élue dans le pays. “"Les déclarations de Aziz Krichène n'engagent que sa personne. L'Assemblée constituante et plus précisément la commission générale de législation est la seule instance habilitée à trancher cette question", a-t-elle fait savoir hier. Plus tranchant, le constituant nahdhaoui Walid Bennani a précisé que le mouvement Ennahdha n'a jamais renoncé au projet de loi sur l'immunisation de la révolution. “Nous n'avons pas retiré ce projet et nous ne le retirerons jamais. Nous allons d'ailleurs voter en faveur de cette loi quand elle sera présentée lors d'une séance plénière a-t-il dit. Cet avis n'est pas partagé par d'autres dirigeants d'Ennahdha. Ainsi, le ministre de la justice transitionnelle et des droits de l'Homme Samir Dilou estime que “la loi sur l'immunisation envoie au fascisme ou au stalinisme" tout en notant que “la loi organique relative à la justice transitionnelle est en mesure d'assurer la mise à l'écart des corrompus et des symboles de l'ancien régime loin de tous les calculs politiques et de tout esprit de vengeance". Même son de cloche Chez Lotfi Zitoun , membre du Conseil de la Choura d'Ennahdha. “L'immunisation de la révolution se fait à travers la réalisation de ses objectifs et non pas via des lois qui risquent de constituer des punitions collectives", a-t-il fait savoir. Défenseurs irréductibles Ettakatol , autre parti membre de la Troïka au pouvoir, s'était dès le départ déclaré opposé au vote d'un projet de loi prévoyant l'exclusion systématique de tous ceux qui ont occupé des hautes fonctions au sein de l'appareil de l'Etat. Il ne reste plus désormais que le mouvement Wafa de Abderraouf Ayadi qui défend bec et ongles cette loi. “Nous sommes attachés au vote de la loi qui constitue l'un des mécanismes permettant de démanteler l'ancien système autoritaire et corrompu et d'empêcher son retour au devant de la scène", affirme Azed Badi, membre du comité constitutif de ce parti formé par des dissidents du CPR. Les principaux partis d'opposition , dont le Parti Républicain, Nidaâ Tounes et le Front Populaire, ont estimé, quant à eux, que la justice transitionnelle est capable d'empêcher le retour des symboles l'ancien régime impliqués dans la corruption. De son côté, l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch a vertement critiqué ce texte de loi , estimant qu"'il constitue une violation des normes internationales en vigueur d'autant plus qu'il prive des milliers de citoyens de leurs droits fondamentaux". Le projet de loi interdit à tous ceux qui ont assuré de hautes fonctions dans l'administration et au sein du RCD durant la période allant d'avril 1989 (premières élections sous l'ancien régime) jusqu'au 14 janvier 2011 de se porter candidats à la présidence, au Parlement, aux Assemblées communales et aux institutions constitutionnelles reconnues dans la nouvelle Constitution. Il empêche aussi ces personnes d'être des membres des comités fondateurs des partis politiques.