A peine une dizaine de jours nous séparent d'un évènement fort déterminant dans l'histoire de la République. Il s'agit délire pour la première fois dans une compétition plurielle, un président au suffrage universel. Même si la campagne électorale, n'a pas connu jusque là une grande intensité, les enjeux du scrutin du 23 novembre courant sont d'une grande portée pour le prochain quinquennat. Il est vrai, que la nouvelle Constitution accorde des pouvoirs limités au prochain locataire de Carthage, puisque les architectes des nouvelles institutions de l'Etat ont plutôt placé le centre de gravité du pouvoir exécutif à La Kasbah. Toutefois, la symbolique dont bénéficie le président de la République dans l'imaginaire populaire, et donc chez l'écrasante majorité des électeurs, est très intense. Certes, les Tunisiens ne veulent guère d'un régime présidentialiste, et encore moins d'une nouvelle dictature, mais les errements connus sous la présidence sortante, favorisent l'émergence d'une figure forte qui décide et a suffisamment d'atouts pour être efficace. A la lumière des résultats des législatives, comment se présentent les enjeux de la présidentielle ? Tout d'abord la position de la direction d'Ennahdha, n'appelant pas directement à voter pour un candidat particulier dans la course vers la magistrature suprême, a réduit considérablement les chances de Mustapha Ben Jaâfar, Ahmed Néjib Chebbi, Abderrazak Kilani et Dr. Hammouda Ben Slama, d'arriver au second tour de la présidentielle. Reste les candidatures de Moncef Marzouki et Slim Riahi. Le premier a réussi à avoir autour de lui un conglomérat de partis salafistes et wahabistes, sous la conduite de Ridha Chiibni, un transfuge d'Ennahdha qui a créé son propre parti et n'a cessé depuis longtemps de clamer son soutien au locataire actuel de Carthage, sans oublier les activistes des Ligues dissoutes de protection de la Révolution. La quête incessante du pouvoir, a amené l'ancien président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH), à utiliser, selon certaines sources, le vocable « Taghout » un alibi sinistre que les terroristes et jihadistes collent à l'armée et aux forces de sécurité. Il a affirmé devant ses partisans à Bab Jelladin à Kairouan, que la véritable guerre est contre le « taghout qui veut revenir et prendre les commandes du pays ». Ces propos ont été interprétés comme visant son ennemi juré Béji Caïd Essebsi. La quête du vote de la base électorale d'Ennahdha, justifie l'utilisation de tous les moyens et les déclarations les plus virulentes. C'est un virage qui rappelle celui de Nicolas Sarkozy, lors de sa malheureuse tentative de reconquérir l'électorat de l'extrême droite, en adoptant ses slogans. Il a perdu ses propres électeurs et n'a rien récupéré de ceux de l'extrême droite. Les équipes de campagne des différents candidats ont intérêt à savoir méditer et disséquer à bon escient les résultats des élections législatives avant d'arrêter leur stratégie à conquérir l'électorat d'Ennahdha, objet de toutes les convoitises. Tout d'abord Nida Tounès a bénéficié des faveurs de 1.280.000 électeurs. Le nombre des supporters d'Ennahdha s'élève à 947.000 électeurs, celui de l'Union Patriotique Libre (UPL) de Slim Riahi, la surprise des législatives, se chiffre à 141.000. La Jabha Chaâbya a eu le soutien de 124.000 électeurs et Afek Tounès 103.000. Le parti du président sortant, le Congrès pour la République (CPR) a une population réduite à environ, 70.000 électeurs. Ces chiffres expliquent l'obsession inassouvie du président sortant à gagner l'appui de la base d'Ennahdha pour espérer atteindre le second tour. Son propre parti, ne peut lui être d'un grand secours. Or, le comportement électoral du Tunisien est beaucoup plus complexe que ne le croient certains stratèges. Le report de voix n'est pas mécanique. Les partis politiques ne sont pas propriétaires des voix de leurs électeurs. Ainsi, même si, apparemment une grande majorité des électeurs nahdhaouis, opteraient pour le président sortant, d'autres candidats peuvent y trouver dans des proportions plus faibles un réservoir utile comme Slim Riahi, Mustapha Kamel Nabli, Kamel Morjene et pourquoi pas Béji Caïd Essebsi qui par on ne sait quel miracle n'est plus désigné « plus dangereux que les salafistes jihadistes » aux yeux de certains dirigeants nahdhaouis. Un autre exemple qui prouve que l'arithmétique électorale n'est pas aussi simple que ce que pensent certains. Le parti de Kamel Morjane n'a pas eu autant de voix que ceux que pourrait espérer KM de l'électorat d'Ennahdha. Il n'est pas étonnant que certains électeurs votent pour Hamma Hammami. L'électeur tunisien peut surprendre par une attitude imprévisible. Rien n'est définitivement acquis et rien n'est joué d'avance. Maher Haffani, observateur du paysage politique pense que le déroulement de la campagne n'est pas représentatif des enjeux réels de la présidentielle. Il déclare au Temps : « Tout le monde est en train de se taper mutuellement. Toutefois, tous les candidats ne se sont pas encore fixés sur leur véritable poids électoral et leur devenir. Il importe de savoir qu'on ne peut pas aller à une élection aussi importante, sans regarder les résultats des législatives. La présidentielle a une importance particulière parce que les législatives n'ont pas donné un résultat clair et net. Nida Tounès est certes premier à la sortie des urnes, mais il n'a pas eu la majorité absolue. Ennahdha est deuxième, mais a une situation très confortable puisqu'elle jouit d'une minorité de blocage réelle pour influer sur le cours des évènements. Elle peut en faire, ce qu'elle veut. Le discours basé sur l'hégémonie n'a pas lieu d'être. Il importe peu qui est en train d'utiliser ce discours. Ce qui importe, c'est que demain, si on veut un gouvernement stable, instaurer la sécurité, avoir une économie florissante, arriver à une certaine croissance qui peut endiguer le chômage, la hausse des prix, une seule chose est nécessaire : la formation d'un gouvernement solide. Là la présidentielle intervient et devient un enjeu vital pour l'équilibre des forces. Ennahdha utilise le discours d'hégémonie. Des démocrates font de même. Si Ennahdha fait passer son candidat, bonjour l'instabilité, comme l'avait prédit Abdelfattah Mourou dans un débat télévisé ». La mobilisation à la présidentielle sera-t-elle plus grande que lors des législatives ? L'enjeu est très important.