* Hamadi Jebali : «Ennahdha a perdu ceux parmi ses sympathisants qui ont été récupérés par Marzouki» * Samir Dilou : «Nous ne craignons pas une ruée des membres d'Ennahdha vers le nouveau parti de Marzouki. Mais nous n'avons aucune autorité sur nos sympathisants dont le nombre est largement supérieur à celui des militants proprement dits» Le Président sortant Moncef Marzouki a annoncé mardi la création d'un nouveau mouvement (ou parti ?) visant à servir de «bouclier contre le retour de la dictature» après la victoire à la présidentielle de Béji Caïd Essebsi, qu'il accuse d'être le porte-flambeau de l'ancien régime. «J'annonce ici, de ce lieu, que nous lançons le mouvement du peuple de citoyens», a déclaré Moncef Marzouki du balcon de son QG de campagne devant une foule de partisans. «La nécessité de former ce mouvement, le mouvement du peuple de citoyens, vise d'abord à empêcher le retour de la dictature parce qu'il y a malheureusement parmi ces gens des extrémistes qui veulent ramener la Tunisie au passé, et cela peut constituer un danger pour la stabilité du pays», a-t-il ajouté. Tout au long de la campagne électorale M. Marzouki qui a recueilli 44,32% des voix au second tour de la présidentielle, s'est posé en garant des libertés et en rempart contre le retour de l'ancien régime, face à l'ex Premier ministre de transition qui a été plusieurs fois ministre sous Bourguiba et président de la Chambre des députés sous Ben Ali jusqu'en 1991. Expliquant l'initiative de Moncef Marzouki, son directeur de campagne, Adnène Manser, a précisé que l'objectif est de canaliser l'élan populaire qui s'est créé autour de sa candidature lors de la présidentielle dans un cadre partisan pacifique. «Il faut canaliser l'énergie qui se trouve dans la rue et la pousser à s'organiser en cadres pacifiques. Sinon, cette énergie deviendra violente. Et notre pays ne tolère aucune violence, et n'accepte pas la poursuite des troubles», a-t-il dit, en référence aux protestations qui ont éclaté dans plusieurs régions du sud depuis l'annonce de la victoire de Béji Caïd Essebsi à la présidentielle. M. Manser a également indiqué que ce nouveau mouvement est constitué de «cadres de partis politiques» et de «différentes initiatives citoyennes» qui se sont réunis autour de la candidature de Moncef Marzouki. OPA sur l'électorat d'Ennahdha ? Selon certains analystes, le président sortant serait désormais en train de couper l'herbe sous les pieds de son bienfaiteur, en l'occurrence le mouvement islamiste Ennahdha, en récupérant une partie de ses sympathisants. C'est en effet un secret de polichinelle que la majorité 1,3 millions d'électeurs de M. Marzouki est constituée de sympathisants du parti de Rached Ghannouchi. Cette hypothèse d'une OPA lancée par Moncef Marzouki, qui avait été élu fin 2011 par l'Assemblée constituante grâce aux députés du mouvement Ennahdha, a été corroborée par certaines figures marquantes de la mouvance islamiste. C'est notamment le cas de l'ancien secrétaire général du parti islamiste, Hamadi Jebali, qui a estimé dans un entretien publié hier par le journal algérien Al-Chourouk que Marzouki a fait une sorte de hold-up sur les bases d'Ennahdha. « Le vrai poids véritable électoral de Moncef Marzouki est apparu lors des législatives lorsque son parti n'a récolté que moins de 2%. Les 44% des voix qu'il a recueillis lors de la présidentielle proviennent des bases du mouvement Ennahdha qui se sont rangées derrière le président sortant sans attendre un mot d'ordre de la direction. Marzouki va désormais considérer tous ceux qui ont voté pour lui comme étant ses partisans. C'est dire qu'Ennahdha a perdu ses sympathisants», a-t-il souligné. Cette position a été relativisée par Samir Dilou, membre du bureau politique de la formation islamiste arrivée en deuxième position aux législatives du 26 octobre. «Nous ne craignons pas une ruée des membres d'Ennahdha vers le nouveau parti de Marzouki d'autant plus que nos militants disposent d'assez d'espaces à l'intérieur du mouvement pour exprimer leurs diverses opinions et gérer leurs divergences. Mais nous n'avons aucune autorité sur nos sympathisants dont le nombre est largement supérieur à celui des militants proprement dit», a-t-il fait remarquer. M. Dilou a par ailleurs indiqué que le mouvement Ennahdha devrait débattre de cette question lors des prochaines réunions de ses instances dirigeantes.