Théâtre de tous les arts, El Hamra est l'un des espaces qui se sont le plus investis durant l'effervescence révolutionnaire des premiers mois de 2011. Dès lors quoi de plus normal pour le théâtre de la rue El Jazira que de fêter la révolution? Ezzedine Gannoun, Leila Toubel et Rym Hamrouni ont ainsi programmé un cycle de représentations théâtrales du 6 au 13 janvier avec cinq spectacles pour les puristes, cinq spectacles dont les levers de rideau auront tous lieu à 19h. "Monstranum's" de nouveau sur les planches Ceux qui ont manqué de voir le dernier opus du duo Toubel-Gannoun pourront se rattraper le 13 janvier prochain. Créé à la suite et dans l'esprit de "The end" et "Otages", "Monstranum's" est une parabole sur le pouvoir qui corrompt absolument. Cette œuvre écrite par Leila Toubel est d'abord un texte majeur dans une langue limpide. La dramaturge d'El Hamra est en effet d'une sensibilité à fleur de peau et sait trouver les mots justes, les expressions qui coulent de source et subliment la langue tunisienne. Cette capacité de Toubel à se situer à mi-chemin entre Laroui et ses narrations et Douagi et son ironie fait d'elle un de nos meilleurs auteurs en une langue dialectale à laquelle elle parvient à donner toute sa dimension littéraire. La mise en scène de Ezzeddine Gannoun est comme toujours aérienne, sans fioritures, d'une belle précision. Gannoun parvient à transformer le texte de Toubel en labyrinthe, en dédale profond dont il est difficile d'entrevoir le bout. Les métaphores fonctionnent à merveille alors que les comédiens changent de masque ou de costume, retrouvent la simplicité virginale du théâtre. On se croirait devant "Les Métamorphoses" d'Apulée ou, mieux, face au "Procès de Kafka". Car, comme à l'accoutumée, Gannoun jongle avec les références. A une sobriété parfois beckettienne, il ajoute une dimension spectaculaire proche du théâtre de Jean Vilar. A des solos d'acteur, il juxtapose des scènes plus touffues, creusant davantage dans les contradictions des personnages qui se dénoncent devant nos yeux. Par petites touches, le metteur en scène fait se succcéder les atmosphères et délivre son spectateur après de virulents réquisitoires qui, mis en abyme, instillent le doute dans l'esprit du spectateur, l'invitent indirectement à une salutaire auto-critique. "Monstranum's", œuvre déjà entrée dans le répertoire de ces créations qui établissent de nouveaux paradigmes, est probablement, tous arts confondus, l'opus le plus puissant depuis la révolution tunisienne. A ce titre, le texte de Toubel dans une mise en scéne de Gannoun mérite toute sa place dans ce cycle qu'il clôturera le 13 janvier. Regards sur le théâtre alternatif El Hamra offre ses planches à quatre nouvelles créations de jeunes compagnies qui représentent chacune à sa manière le théâtre off tunisien. C'est le 8 janvier que le public de la petite bonbonnière de la rue El Jazira pourra découvrir la première de "Al Bab", une création tuniso-française du Théâtre Chouf et du Centre Taabir. Attendue avec curiosité, cette oeuvre est signée au niveau du texte et de la mise en scène par Lassaad Salaani. Pour sa part, Buffalo Arts présentera sa nouvelle création "Al Makiroune" sur un texte et dans une mise en scène de Salah Fellah. Le spectacle sera donné le 12 janvier. "El Makina" avec un texte et une mise en scène de Walid Daghsni complète le programme. Cette œuvre produite par le Théâtre Clandestino ouvre ce mini-festival le 6 janvier avec son atmosphère volontairement pesante, entre complots et machinations. Comme on peut le constater, hormis "Monstranum's", toutes les autres œuvres sont des créations dans lesquelles le dramaturge est aussi le metteur en scène. Il s'agit d'une donnée nouvelle dans notre théâtre expérimental et il serait intéressant que la critique se penche sur cet aspect particulier que nous donnera à voir El Hamra. Au delà, il s'agit d'une belle initiative que ce festival de la révolution qui, sans tambours ni trompettes, nous met face à notre théâtre postrévolutionnaire. Hatem BOURIAL Le metteur en scène Ezzedine Gannoun vient de perdre sa chère mère. Qu'il reçoive nos condoléances les plus attristées.