En perte de repères, le festival de Médenine peine à donner un forum aux novateurs du théâtre. Comment relancer cette manifestation vouée au théâtre expérimental? Comment créer un pôle alternatif pour un laboratoire du quatrième art? Une semaine durant, le centre national des arts dramatiques et scéniques de Médenine planche sur ces questions... La dix-neuvième édition du festival du théâtre expérimental se poursuit à Médenine jusqu'au 24 avril avec une importante participation nationale et un programme de qualité. Toutefois, la dimension expérimentale demeure difficile à cerner dans la programmation du festival. En effet, le programme est essentiellement articulé sur des œuvres déjà connues et qui ne s'apparentent en rien à l'expérimentation dans le théâtre. Ces créations, pour intéressantes qu'elles soient ne sont pas représentatives de l'expérimentation théâtrale actuelle en Tunisie. Un festival en quête d'originalité Porte-drapeau de la diffusion théâtrale à Médenine, ce festival s'est bien éloigné des fondamentaux qui ont présidé à sa création. Conçu pour être un observatoire des nouvelles tendances du théâtre en Tunisie, ce festival a vite tourné le dos à son projet pour se contenter de devenir un festival annuel comme tous les autres. Cela ne veut pas dire que cette manifestation est inutile. Pourtant, son intitulé est trompeur et ne sert en rien la cause que défend ce festival. Le cas s'était d'ailleurs posé il y a quelques années avec le festival du théâtre moderne de Gafsa dans le cadre duquel le même glissement s'était produit. Est-ce à dire qu'il n'existe pas de théâtre expérimental en Tunisie aujourd'hui? La question est complexe car, un peu partout, des initiatives ont vu le jour qui assignent une mission de laboratoire d'idées au théâtre et tentent d'investir des sentiers nouveaux. En fait, l'innovation dans le théâtre se pratique aujourd'hui en dehors du "main stream", du réseau officiel. Nombreux sont les jeunes qui s'expriment par le dance-théâtre ou la performance voire l'installation. Pourtant, ils sont totalement absents du programme de ce festival censé les concerner au premier chef et les réunir une fois par an. Où sont les jeunes des instituts d'art dramatique avec leurs créations expérimentales au sens pédagogique du terme? Où sont les expressions alternatives nées de la révolution et diffusées aux quatre coins de la République? Où sont les chorégraphes qui désormais investissent le quatrième art à la confluence de la pantomime et de la danse? En fait, ce festival de Médenine pourrait être le forum annuel dont ont besoin tous ces acteurs pour échanger, comparer et discuter leurs expériences. Mais, malheureusement, le festival dans sa forme actuelle, ne fait qu'effleurer tous ces besoins tout en reproduisant le modèle dominant qui règne sur nos festivals. Il est temps pour les animateurs de cette manifestation de se remettre en question et recadrer ce festival qui dévie sensiblement de ses objectifs, même si les débats qu'il propose s'inscrivent dans la logique du théâtre expérimental mais peinent à être entendus. Le temps de la refondation semble venu pour ce festival qui n'en propose pas moins un programme riche mais, répétons-le, plutôt convenu et éloigné du sujet annoncé par l'intitulé de la manifestation. Le travail formel de Fathi Akkari Seule la dernière création de Fathi Akkari qui sera donnée en clôture de l'événement semble s'inscrire dans le sillage du théâtre expérimental. Produite par le centre national des arts dramatiques et scéniques du Kef, cette création s'intitule " Les chemins de la lune" et permet de retrouver le travail formel de Akkari qui, dans son œuvre multiple, ne s'est jamais éloigné des problématiques et des idées qui agitent les expérimentateurs dans le théâtre tunisien. Déjà, au sein du Théâtre organique, Akkari représentait la volonté de rechercher des pratiques alternatives et une esthétique qui s'éloigne de la convention. Dans cette nouvelle création, il demeure dans cet univers qui pense le théâtre tout en assignant de nouveaux horizons à la notion de spectacle. Sinon, le festival de Médenine permettra au public de découvrir plusieurs nouvelles créations à l'image de celles de Mounir Argui, Ghazi Zaghbani, Jamel Sassi ou Issam Betouhami. Ce sera aussi l'occasion de voir le dernier opus de Béchir Kahwagi qui est produit par le centre national des arts dramatiques et scéniques de Kairouan. C'est, comme souligné, la dimension de débats d'idées qui évoque le plus clairement la notion d'expérimentation. Ainsi, le colloque sur le thème de la "deuxième écriture" est de nature à ouvrir des pistes expérimentales. Animé par Anouar Chaafi, ce colloque posera plusieurs interrogations liées à l'intertextualité, la création ou la relation avec le public. Par ailleurs, une formation animée par la chorégraphe Nawal Skandrani s'inscrit dans le même sillage. Ayant pour but de travailler sur le corps en relation avec les expressions du spectacle vivant, cette formation s'inscrit dans le vif de l'expérimentation et devrait interpeller les participants. Au delà, le programme propose les sempiternels défilés de majorettes et autres animations de rue qui, s'ils soulignent la dimension populaire de ce festival, n'en sont pas moins aux antipodes de ce que devrait être un forum sur l'expérimentation dans le théâtre. A tout seigneur tout honneur, le festival s'est ouvert par "Kaab el Ghazal", la dernière création du centre national des arts dramatiques et scéniques de Médenine. Cette création de Ali Yahyaoui sur un texte adapté du Libyen Ibrahim El Kouni constitue l'un des grands moments de ce festival, le temps de la communion entre le public de Médenine et sa troupe régionale qui a remporté un formidable succés avec cette œuvre faisant appel au chorégraphe Hafedh Zallit. Jusqu'au 24 avril, place au théâtre à Médenine et pourquoi pas à une remise en question de ce festival qui pourrait soit revenir à son essence originelle soit se fondre dans le paysage, faute d'avoir cultivé son originalité. La balle est dans le camp du centre national des arts dramatiques et scéniques de Médenine qui pourrait requalifier ce festival, à défaut de lui donner pleinement le rôle national qui devrait être le sien.