La nouvelle est tombée comme un couperet, mettant fin aux spéculations des médias et aux espoirs des proches et amis des détenus. Rompant avec les pratiques de son prédécesseur, Moncef Marzouki, le chef de l'Etat Béji Caïed Sebsi n'accordera vraisemblablement pas de grâce présidentielle à l'occasion du 17 décembre, date anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne, rompant ainsi avec les pratiques de son prédécesseur. Une décision qui indigne la société civile et fait grincer les dents de ses militants qui continuent à réclamer une révision de la loi 52-1992, votée sous Ben Ali à des fins répressives et anti-démocratiques selon eux. Au mois de novembre, trois jeunes artistes ont été arrêtés et condamnés à une amende assortie d'un an de prison pour usage et consommation de stupéfiants, en application de la loi 52 qui prévoit une peine d'un à cinq ans d'emprisonnement et une amende allant de 1000 à 5000 DT pour «tout consommateur ou détenteur à usage de consommation personnelle de plantes ou de matières stupéfiantes. « Ils s'appellent Fakhri El-Ghezal, Atef Maatallah et Ala Eddine Slim. Ils sont jeunes, avides de liberté et reconnus par leurs pairs comme étant des artistes très doués. Le premier a vu ses photographies exposées au New Museum, à New York, au Muceum, à Marseille, au Beirut Art Center et au Musée de Carthage. Le deuxième est un dessinateur hors pair et l'un de ses dessins a même été acquis par le centre Pompidou cette année. Le troisième est réalisateur, producteur, scénariste et sa société a déjà produit près d'une dizaine de films. Leur vie a basculé en novembre dernier quand la police fait irruption au domicile de l'un des trois amis, situé à Nabeul. Munis d'un mandat de perquisition, les policiers, armés et vêtus de gilets pare-balles, fouillent la maison de fond en comble avant de décider d'arrêter les trois artistes ainsi que l'épouse de l'un deux, professeur universitaire. Enceinte de huit mois, elle sera libérée un peu plus tard. Ce ne sera pas le cas de Fakhri, Atef et Ala Eddine qui seront transférés devant un juge et condamnés à un an de prison et à une amende. C'est aussi le cas de Adnène Meddeb et Amine Mabrouk. Membres du comité des Journées cinématographiques de Carthage, ils ont été arrêtés le soir de la clôture du festival. Fouillant leur voiture, les policiers n'ont pas trouvé de cannabis mais juste un paquet de feuilles à rouler. Une preuve suffisante d'après eux pour les arrêter et les transférer devant un juge du tribunal de première instance de Tunis. Les deux amis refusent de se soumettre à un test de dépistage. Malgré un dossier vide, le juge les condamnera à un an de prison et à une amende financière. Promesses électorales Tous ces jeunes et tant d'autres croupissent aujourd'hui en prison, privés de leur liberté. En dépit des demandes incessantes, dès 2003, de l'ONU pour établir de vraies statistiques quant au nombre de détenus inculpés pour consommation de stupéfiants, il est aujourd'hui impossible de quantifier avec fiabilité ce phénomène qui ronge mais aussi divise la société tunisienne. Malgré des efforts tenaces et une lutte sans relâche d'une large frange de la société civile, les décisionnaires semblent jusqu'ici peu convaincus ou motivés pour changer la législation. Pourtant, lors de la période électorale, tous les partis ou presque avaient évoqué le sujet et émis des promesses dans ce sens. Aujourd'hui, il n'en reste plus rien ou si peu. Pourtant, malgré les échecs et la déception, les militants ont quand même réussi à arracher une victoire durable, celle de braquer les projecteurs sur cette problématique sociétale et d'ouvrir le débat à tous. Sujet tabou jusqu'à un passé si proche, la loi 52 est aujourd'hui au cœur des débats et sur toutes les langues, même si les avis divergent. Rallié à cette cause, l'avocat engagé Ghazi Mrabet ne perd pas espoir. Il déclare à ce sujet : « A qui profite le crime de la loi 52? Nous avons réussi ces dernières années à ouvrir le débat et avons obtenu lors des dernières élections la promesse de tous les partis politiques à réformer la loi de la honte. Une fois au pouvoir, tous nous ont tourné le dos avec le mépris en conséquence. Nous ne cesserons jamais de demander l'abrogation de la loi de la corruption !»