Le Temps-Agences - C'est avec un profond scepticisme, pour le moins, que le projet irakien de George W. Bush était accueilli hier au Proche-Orient. La plupart des analystes y jugeaient qu'envoyer 21.000 hommes supplémentaires est une tentative de la dernière chance, qui ne fera rien pour juguler la violence, bien au contraire. Pour nombre d'entre eux, il s'agit là d'un geste désespéré de la part de Washington qui ne fera qu'aggraver l'échec américain en Irak, tout en risquant d'approfondir encore le fossé entre communautés. Dans un Proche-Orient majoritairement sunnite, les observateurs ont un doute majeur: que les forces américaines, ou a fortiori le gouvernement de Bagdad à majorité chiite, s'attaquent pour de bon à ce qu'ils considèrent comme la pire menace à la stabilisation de l'Irak, les milices chiites. Et notamment la plus active et dangereuse d'entre elles, l'Armée du Mahdi du jeune imam Moqtada Al-Sadr, un des principaux soutiens du gouvernement de Nouri Al-Maliki. Ils mettent donc l'accent sur le principal écueil du plan Bush: sa dépendance envers Nouri Al-Maliki et la nécessité de compter sur sa bonne volonté. Alors que jusqu'à présent, Al-Maliki a résisté aux pressions américaines pour s'en prendre aux hommes d'Al-Sadr. Dans le monde arabe, la méfiance est généralisée envers ce gouvernement, dont on estime qu'il sert les intérêts iraniens, et vise uniquement à établir la domination chiite sur l'Irak, sans égards pour la minorité sunnite aux commandes du temps de Saddam Hussein. Pour Mustafa Al-Ani, analyste militaire du Centre de recherches du Golfe à Dubaï (Emirats arabes unis), Washington échouera si les Américains ne s'en prennent qu'à Al-Qaïda et aux insurgés sunnites et n'arrivent pas à se débarrasser des milices chiites. "Vous ne pouvez pas vous en prendre à Al-Qaïda et ignorer Al-Sadr. Sans désarmement de sa milice, je ne vois aucune possibilité de réussite". Les Américains "doivent établir une nouvelle crédibilité, et ils doivent être équitables", ajoute-t-il. Dans cet Irak où Washington semble avoir fait le choix des chiites, il risque de perdre totalement le soutien sunnite. Pour nombre d'analystes, comme Arib El-Rentaoui, directeur du Centre Al-Qods pour les études politiques d'Amman, Bush "n'a pas répondu à la question centrale: et que se passera-t-il si Al-Maliki ne respecte pas ce nouveau projet? Le gouvernement Al-Maliki fait partie du problème, il n'est pas la solution". D'autres notent aussi la difficulté bien connue à gagner une guerre de guérilla avec les méthodes d'une armées traditionnelle... "Quel que soit le nombre d'hommes, tant que c'est une guerre entre une armée régulière et des groupes armés fonctionnant comme des gangs, les Américains échoueront", estimait Galal Nassar, membre de l'Académie militaire Nasser en Egypte. Au Koweït, Ayed Al-Manna, professeur de sciences politiques à l'Université arabe ouverte, juge que la nouvelle stratégie de Bush manque de clarté: "21.000 soldats supplémentaires, c'est une goutte d'eau dans la mer (...) faute d'un plan défini conjointement par les Américains et Irakiens": "Ca voudrait juste dire plus de soldats à traquer pour les insurgés". Les observateurs sont unanimes à juger que toute l'affaire capotera si les Irakiens eux-mêmes n'y adhérent pas, et continuent d'accepter l'influence et les infiltrations étrangères: "Tout dépend des Irakiens eux-mêmes. C'est très difficile avec la forte implication iranienne en Irak, qui vise à faire échouer la stratégie de Bush et à le forcer au retrait", note le général Hossam Sweilem, expert militaire cairote. Montré du doigt, l'Iran, tout en niant une fois de plus toute interférence en Irak, a surtout dénoncé la politique américaine de renforcement de la coopération avec ses alliés dans la région (pays du Golfe, Egypte, Jordanie...), y voyant un signe clair et menaçant en direction de Téhéran: "l'installation de missiles Patriot (dans ces pays alliés, NDLR) fait partie de la politique américaine de protéger le régime sioniste via un pays musulman", a déclaré le porte-parole de la diplomatie Mohammad Ali Hosseini, parlant de "poursuite de l'occupation". Pour lui, les renforts américains "accroîtront l'insécurité, le danger et la tension dans le pays. Cela n'aidera pas à résoudre les problèmes de l'Irak".