Depuis l'avènement du gouvernement d'union nationale de Youssef Chahed, on a enregistré, outre les mouvements sociaux, parfois légitimes et spontanés, une multitude d'autres faits qui sentent l'artificiel et le roussi, tellement les circonstances de leur déroulement paraissent douteuses voire invraisemblables. Le plus récent de ces épisodes aux contours flous est celui survenu au cours de ces deux derniers jours à propos de l'interview accordée à la chaîne de la télévision d'Attessiâ, par Moncef Marzouki, qui avait été catapulté président de la République grâce à Ennahdha malgré ses quelques milliers de voix obtenues lors des élections législatives. En effet, à la surprise générale et au moment où l'on croyait révolus les temps où des officiels exerçaient des pressions, voire des chantages, sur les journalistes et les médias pour censurer tel article ou telle autre émission, voilà que le chef du mouvement Harak al-Irada et son secrétaire général lancent leur bombe quant à l'interdiction de l'interview accordée par M. Marzouki à la chaîne Attessiâ. Les choses sont allées crescendo avec un dosage savant et bien étudié : un post de Moncef Marzouki sur sa page officielle suivi d'un autre publié par Adnane Mansar, toujours sur Facebook, pour annoncer la tenue d'une conférence de presse le lendemain. Entretemps, Borhane Bsaïes multipliait les déclarations à un point tel que tout le monde a cru qu'il était l'auteur de l'interview alors que c'est son collègue, Mekki Hlel qui s'en est acquitté. Le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a joué son rôle de garde-fou de la liberté de la presse en publiant un communiqué pour s'élever contre le « retour de la censure ». Juste après la conférence de presse, Adnane Mansar est passé au plateau de Midi show sur Radio Mosaïque Fm pour accuser expressément des conseillers à la présidence de la République et des membres du gouvernement de Youssef Chahed comme étant ceux ayant contacté la direction d'Attessiâ pour empêcher la diffusion de ladite interview. Et c'est justement, en pleine intervention de M. Mansar que Moez Ben Gharbia a décidé, enfin, de se manifester pour lire le communiqué de la direction générale de la chaîne. Un communiqué catégorique: oui, il y a eu pression de la part de responsables au Palais de Carthage et au Palais de La Kasbah pour réclamer l'interdiction de la fameuse interview ! Et coup de théâtre, M. Ben Gharbia annonce en direct que la direction d'Attessiâ a décidé de retransmettre l'interview dans son intégralité dans les jours qui viennent, probablement, lundi prochain, tout en tenant à confirmer et à appuyer les dires et les accusations d'Adnane Mansar. « Nos adversaires sont d'une naïveté politique extraordinaire, précise encore M. Mansar avant d'ajouter que son parti va exploiter cette naïveté et dénoncer ses auteurs tout en réclamant un questionnement du responsable juridique de la chaîne par l'Assemblée des représentants du peuple ». Il faut reconnaître, effectivement, qu'on a beau rechercher les éventuels motifs ayant conduit les deux présidences à intervenir auprès des responsables de ladite chaîne de télévision, mais on n'en trouve aucun dans le sens où il faut que les autorités accusées soient d'une naïveté incroyable pour prendre de tels risques, car logiquement, les répercussions d'une telle démarche sont, de loin, plus négatives, que celles pouvant résulter de la diffusion de la rencontre télévisée ! Voilà pour ce qui est des péripéties de ce feuilleton rocambolesque. Maintenant que les esprits se sont, un tant soit peu, calmés, et avec un peu de recul, il est possible tirer certaines conclusions et d'imaginer les probables scenarios. Nombreux sont les analystes qui soupçonnent, plutôt, un « bluff » médiatique pour faire d'une pierre deux coups, comme on dit. Ce qui est certain, est que cette affaire a permis à Moncef Marzouki de faire un retour tonitruant sur la scène politique nationale et à la chaîne Attessiâ de faire parler d'elle en cette rentrée politique avec l'espoir de conquérir de nouveaux téléspectateurs et faire monter son audimat. D'ailleurs, parmi les répercussions « positives » pour M. Marzouki est qu'il est, de nouveau, sollicité par tous les médias. Et déjà, il a eu, rien que durant la journée d'hier, deux interviews avec les radios d'Express Fm et de Shems Fm. Ceci prouve, si besoin est, que Moncef Marzouki est davantage intéressé par son retour sur la scène médiatique que par la diffusion de son interview sur Attessiâ. D'ailleurs, lui-même avoue que le contenu de la fameuse interview n'a rien de spectaculaire et qu'il n'a pas tenu des propos fracassants se contentant d'une analyse de la situation actuelle dans le pays avec une projection sur l'avenir. A noter, par ailleurs, que même le SNJT, pas le biais de Youssef Oueslati, avoue que la situation n'est pas claire et qu'il serait fort étonnant que le président de la République, qui vient de signer la déclaration arabe pour la liberté de la presse, permette à des conseillers d'intervenir de la sorte. Il serait étonnant, ajoute t-il que le gouvernement, qui vient à peine de prendre ses fonctions, se mêle d'un dossier aussi polémique. Ainsi, le patron de Harak al-Irada en profite pour faire de la propagande à son parti pour dire qu'il sera l'une des premières formations politiques à l'avenir tout en clashant le nouveau gouvernement d'union nationale qui n'a rien de tel que le nom, selon ses propres dires et en accusant son chef, Youssef Chahed, dont il a oublié le nom (sic), de populisme et de jouer la comédie sans oublier de rappeler la « vidéo qui a montré le vrai niveau de M. Chahed ». Morale de l'histoire, tout le monde s'accorde à dire que si les pressions ont bien eu lieu, ce serait trop grave pour le processus des libertés, en général, un des rares acquis réalisés grâce à la Révolution, et pour la crédibilité du pouvoir en place. Dans le cas contraire comme ont tendance à le dire les observateurs, ce serait trop grave pour le secteur de l'information qui perdrait, alors à son tour, sa crédibilité, sachant que Moez Ben Gharbia est revenu, hier, à la question en changeant, légèrement et significativement, ses paroles. En tout état de cause, le dossier demeure flou en attendant que les choses soient tirées au clair. Et il est indéniable que c'est au directeur de la chaîne de télévision d'apporter les éclaircissements nécessaires avec éléments factuels et des noms précis, sinon le reste ne serait que littérature...