La Conférence des Nations Unis pour le commerce et le Développement (CNUCED) vient de publier un rapport intéressant sur le commerce et l'intégration économique en Afrique, intitulé « Renforcer l'intégration économique régionale pour le développement de l'Afrique ».
Le rapport avance qu'une intégration intra-africaine renforcée est indispensable pour le développement. Il montre aussi que l'intégration régionale, à condition d'être conçue et appliquée dans le cadre d'une stratégie de développement plus vaste visant à promouvoir la diversification économique, les mutations structurelles et le développement technologique, pouvait renforcer les capacités productives des pays africains, permettre des économies d'échelle, améliorer la compétitivité et servir à ces pays de tremplin pour participer de manière effective à l'économie mondiale. Le rapport conforte la position de la Tunisie, malgré sa taille et les limites de ces ressources naturelles, en tant qu'acteur principal dans l'économie africaine. Ce rapport nous intéresse pour deux raisons : La Tunisie vient d'être classée par le Forum économique de Davos en première position en terme de compétitivité en Afrique, ce qui nous place en position de leader en ce domaine, L'orientation de plus en plus accentuée de la Tunisie vers les marchés africains pour la diversification de ces exportations,dans le cadre d'une baisse considérable de la demande chez nos partenaires européens.
Une réussite relative de l'intégration régionale :
Le rapport s'est concentré autour de l'intégration régionale au sein des groupements régionaux en Afrique. Il démontre que certains groupements régionaux ont permis d'avancer sur la voie de l'intégration, mais les résultats restent mitigés. Parmi les initiatives positives on peut mentionner d'abord la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale), qui a réussi à former une union monétaire et douanière, à harmoniser les conditions de concurrence et le cadre réglementaire pour les entreprises et à progresser vers la convergence macroéconomique. Le COMESA (Marché commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe) a mis en place des règles d'origine uniformes et a simplifié ses procédures douanières. Il a aussi réussi à éliminer les obstacles non tarifaires (en particulier les procédures de licence d'importation), et les restrictions de change et à supprimer les contingents d'importation et d'exportation. La SADC (Communauté de développement de l'Afrique australe) a harmonisé les mesures régissant l'impôt, l'investissement, les bourses de valeurs mobilières et les assurances, tout en parvenant à la convergence macroéconomique. Dans d'autres domaines de la coopération au service du développement, par exemple pour le Pool énergétique, la Communauté de développement de l'Afrique australe a également fait des avancées. La CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) a éliminé les droits de douane sur les matières premières et a progressé vers la convergence sur le plan macroéconomique. Une union douanière a été établie, le cadre réglementaire pour les entreprises a été harmonisé et il y a une convergence des politiques macroéconomiques. Malgré ces avancées considérables, le rapport fait état de quelques problèmes qui bloquent l'intégration intrarégionale. Les problèmes détectés par la CNUCED sont de différents niveaux : institutionnels, économiques et autres: - Les obstacles économiques incluent la forte dépendance de la plupart des pays membres vis-à-vis de l'exportation de produits de base, les règles d'origine strictes émanant des programmes de libéralisation du commerce et des infrastructures déficients - Les problèmes institutionnels comprennent notamment les tracasseries administratives et certains obstacles physiques, par exemple péages routiers, frais de transit et tracasseries administratives à la frontière et dans les ports. Ces obstacles majorent les coûts de transport et nuisent à la fiabilité des livraisons. - D'autres problèmes : ils sont dus à l'absence de coordination et d'harmonisation des politiques et des réglementations au niveau régional, à la non-application des engagements pris et à l'appartenance des pays à des entités multiples.
Le commerce intra africain encore loin des ambitions :
Le rapport démontre que, malgré la longue histoire de l'intégration régionale sur le continent, le commerce intra-africain reste inférieur au commerce intrarégional dans d'autres parties du monde, tant développées qu'en développement. Entre 2004 et 2006, les exportations intra-africaines ont représenté 8,7 % des exportations totales de la région. Les importations intra-africaines, quant à elles, ne dépassaient pas 9,6 % des importations totales. La proportion était nettement plus forte pour la sous-région de l'Afrique subsaharienne (autour de 12 %) que pour l'Afrique du Nord (3 % environ). Mais même en Afrique subsaharienne la part du commerce intrarégional reste inférieure à celle observée dans d'autres régions. La stagnation relative observée est due au fait que le commerce de l'Afrique avec le reste du monde a crû beaucoup plus vite que le commerce intra-africain. En effet, si le commerce intra-africain a progressé de 13,64 % par an, en moyenne, entre 1999 et 2006, dans le même temps les échanges commerciaux de l'Afrique avec les Etats-Unis ont bondi en moyenne de 27,57 % par an, et son commerce avec la Chine de 60,85 % par an. Par conséquent, la stagnation de la part du commerce intra-africain est due essentiellement à la place de plus en plus grande des nouveaux partenaires commerciaux de l'Afrique.
Importations et exportations intrarégionales par rapport au commerce total, moyennes 2004–2006 (%)
Importations Exportations Afrique 9.6 8.7 Pays en développement d'Amérique 20.9 18.5 Pays en développement d'Asie 48.1 45.5 Pays développés d'Amérique 23.3 39.8 Pays développés d'Europe 68.1 71.4 Source : CNUCED
Il ressort clairement de ce qui précède que, globalement et comparativement, le commerce intra-africain ne représente pas une part importante du commerce africain dans son ensemble. Pour prendre l'exemple de l'Union de Maghreb Arabe, qui nous concerne, les exportations au sein de cette zone ont atteint en moyenne annuelle, entre 2004 et 2006, 1,8 milliard de dollars, soit 2 % seulement des exportations totales des membres de l'Union. Le principal exportateur est la Tunisie (41 %) suivie par l'Algérie et la Jamahiriya arabe libyenne (25 et 23 %, respectivement). Le principal importateur est la Tunisie (31 %) suivie par la Jamahiriya arabe libyenne et le Maroc (28 et 25 %, respectivement). Les principaux flux sont les échanges commerciaux bilatéraux entre la Tunisie et la Jamahiriya arabe libyenne, et les exportations de l'Algérie vers le Maroc. Parmi les 10 principaux exportateurs vers le reste du monde, 7 sont des pays exportateurs de pétrole et/ou de gaz, les exceptions notables étant l'Afrique du Sud, le Maroc et la Tunisie avec leur économie relativement
Les 10 principaux exportateurs vers l'Afrique et vers le reste du Monde 2004-2006 Exportations vers l'Afrique Exportations vers le reste du monde Afrique du Sud 24.29 Algérie 17.36 Nigéria 12.37 Afrique du Sud 15.98 Cote d'Ivoire 7.40 Nigéria 14.78 Kenya 5.36 Angola 8.80 Swaziland 5.34 Libye 8.75 Namibie 3.47 Maroc 4.30 Ghana 3.42 Egypte 4.07 Algérie 3.36 Tunisie 3.87 Tunisie 3.18 Congo 2.36 Zimbabwé 3.04 Cote d'Ivoire 2.09 Source : CNUCED 2008
Les 10 principaux importateurs de produits en provenance de l'Afrique et du reste du Monde 2004-2006 Importations en provenance de l'Afrique(% du total) Importations du reste du monde (% du total) Afrique du Sud 9.80 Afrique du Sud 25.40 Botswana 8.23 Maroc 9.22 Namibie 6.59 Algérie 9.18 Cote d'Ivoire 4.91 Egypte 8 Swaziland 4.70 Nigéria 7.73 Zambie 4.58 Tunisie 6.0 Zimbabwé 4.53 Libye 3.49 Lesotho 3.45 Soudan 2.92 Nigéria 3.45 Libéria 2.78 RDC 3.24 Ghana 2.42 Source : CNUCED 2008
Les exportations de l'Afrique vers le reste du monde par groupes de produits font apparaître davantage de disparités. Les exportations de combustibles représentaient à elles seules 60 % de la valeur totale des exportations. Les produits manufacturés représentent près des trois quarts des importations africaines totales en provenance du reste du monde, alors qu'ils ne représentent que la moitié de la valeur totale des importations intra-africaines.
Exportations régionales en Pourcentage des exportations totales
1960-1962 2004-2006 Croissance (%) Afrique 5.58 8.68 55.43 Afrique du Nord 2.81 2.45 -12.75 Pays en développement d'Amérique 15.97 18.54 16.11 Pays en développement d'Asie 21.06 45.54 116.28 Pays développés d'Amérique 26.64 39.80 49.41 Pays développés d'Europe 61.28 71.38
Source : CNUCED 2008.
Les destinations des exportations des pays africains 2004-2006 (en %). Pays Vers les pays développés d'Europe Vers les Etas Unis Vers l'Asie de l'Est, du sud et du sud Est Vers l'Asie Occidentale Vers l'Afrique Vers les principaux groupements régionaux Tunisie 71.86 0.66 2.63 2.03 8.64 7.06 Maroc 75.23 2.72 6.90 2.52 4.46 1.49 Egypte 35.33 8.49 13.05 16.44 5.90 3.45 Algérie 54.44 24.89 2.73 3.94 2.18 1.01 Afrique du Sud 38.98 11.20 13.50 2.47 14.87 10.15 Source : CNUCED 2008 L'intégration régionale : moteur de développement :
Quelles sont les possibilités de développer le commerce intra-africain de manière à promouvoir la croissance économique et le développement des pays africains? C'est la question à laquelle a voulu répondre le rapport. Selon la CNUCED, l'évolution du commerce intra-africain dépendra d'un certain nombre de processus aussi bien internes qu'externes Il y a aujourd'hui trop d'unités régionales d'intégration économique; leur vitesse d'intégration et leur étendue ont une incidence variable sur le développement du commerce intra-africain et resteront sans doute variables. Le projet politique de créer un marché commun africain d'ici à 2023 est toujours à l'ordre du jour mais pour y parvenir il faudrait très probablement commencer par rationaliser les systèmes existants. Cette rationalisation a commencé avec l'annonce faite la fin 2008 que le COMESA, la CAE et la SADC envisagent de s'unir pour créer une zone de libre-échange. Le bloc commercial qui en résulterait formerait une zone de libre-échange de 527 millions d'habitants présentant un PIB global de 624 milliards de dollars. Sur le plan international, plusieurs phénomènes vont certainement être déterminants pour l'avenir du commerce intra-africain et l'intégration du continent dans le commerce mondial. Le plus notable aujourd'hui est la négociation d'accords de partenariat économique entre l'Afrique et l'Union européenne. Sont à mentionner aussi: le Cycle de négociations de Doha à l'OMC, la loi américaine sur la croissance et les potentialités de l'Afrique, les accords-cadres sur le commerce et l'investissement et l'apparition récente de la Chine comme protagoniste majeur du commerce mondial. Le rapport de la CNUCED a traité aussi le sujet de l'innvestissement intra africain ainsi que le commerce des services, la mobilité de la main d'œuvre et les migrations, et qui seront le sujet d'autres papiers.