Bernard-Henri Lévy, philosophe et homme de média français, est en train de s'installer en énigme dans la conscience de certains intellectuels tunisiens. Et même arabes puisque nous l'avons vu s'inscrire en force dans une ardente défense du Conseil transitoire libyen qui mène actuellement une farouche résistance à la féroce oppression du régime de Kadhafi. Dans la revue «Le Point», il tient une rubrique hebdomadaire intitulée: «Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy», où il s'est engagé tout feu tout flamme dans un vibrant soutien moral, politique et humanitaire aux insurgés. Un soutien qui, non seulement ne faiblit pas au fil des combats, mais s'accentue et s'exacerbe jusqu'à exprimer des idées et des positions très pertinentes au plan de la stratégie militaire à adopter dans un tel contexte. Sa contribution dans le numéro en date du 14 avril 2011 m'a laissé admiratif. Tout ce qui devait être dit à propos de la tragédie vécue par les Libyens écrasés sous le rouleau compresseur de la machine de guerre du despote, a été dit. Avec la précision d'un scalpel qui découpe la réalité des faits pour en atteindre les implications véridiques. Il a, à ce sujet, montré du doigt les véritables arrière-pensées qui conditionnent les prises de positions des différents intervenants dans ce génocide (on parle du côté du Conseil transitoire de quelque 10.000 morts, chiffre à prendre en considération, vu la disproportion des forces en présence). Sur sa lancée, BHL a dénoncé les reculades de certains, les mutismes d'autres, dénonçant courageusement la frilosité et l'hypocrisie ambiante. Ainsi, à propos de l'Egypte, il n'hésite pas à affirmer que ce pays «qui dispose, à la frontière de la Libye, d'une armée surpuissante et dont les chars pourraient, en quelques heures, enfoncer les lignes kadhafistes et libérer les populations martyres de Misrata, Zaouia, Zentan et Tripoli» a adopté une attitude «sinon honteuse, du moins inexplicable».
Il s'étonne de l'attitude de la Turquie «partisane, qu'elle le dise ou non, d'un soutien à Kadhafi», attitude qu'il juge elle-aussi «honteuse». Les Etats-Unis, souligne-t-il, dans une image très jolie, sont entrés dans cette guerre de libération à reculons et sont en train d'en sortir sur la pointe des pieds. Et ainsi de suite concernant la Ligue arabe, l'Union africaine, l'Otan et son «Machin». Et bien entendu trouvent grâce à ses yeux le Qatar, la Grande-Bretagne et la France sans laquelle, par sa première frappe, «rien ni personne n'aurait pu empêcher les rivières de sang promises par Seïf El Islam, le fils fou de Kadhafi».
Mais, hélas, les rivières de sang sont en train d'inonder le sol libyen et l'on subodore, entre l'Amérique et l'Otan, une connivence macabre pour on ne sait quel ténébreux dessein de partition du pays. Quoi qu'il en soit de la suite des événements, on ne peut s'empêche de tirer un coup de chapeau à Bernard-Henri Lévy qui a fait l'exacte radioscopie de la situation sur le terrain et qui n'a pas ménagé toute sa sympathie au peuple martyr de Libye. La chose mérite d'être soulignée d'autant que peu de journalistes occidentaux se sont aventurés dans une condamnation aussi prononcée de l'attitude de certains intervenants-clés dans le conflit. Cela ne nous étonne guère: dans le conflit des Balkans, la Bosnie, quoique musulmane, avait suscité en lui le même élan de solidarité. En tant que juif, BHL connait donc le prix de la souffrance. Mais cette connaissance est-elle chez lui à deux vitesses? Je ne sache pas que le drame palestinien ait remué en lui la fibre de l'empathie et de la compassion. Je n'ai rien lu de lui qui traduise sa connaissance des tenants et aboutissants du conflit du Proche-Orient. Le massacre de Gaza aurait pu lui être une occasion en or pour rappeler ce que ses coreligionnaires avaient enduré dans l'holocauste. Dommage!