À l'occasion de son Tour de France contre la haine ordinaire, la psychiatre française d'origine tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve dresse un constat glaçant : en France, le racisme et l'islamophobie engendrent des dégâts psychiques profonds et massifs, trop souvent passés sous silence. À travers ses consultations, ses écrits et ses rencontres citoyennes, elle dénonce une stigmatisation systémique des Français perçus comme Arabes ou musulmans, qu'ils soient croyants, athées ou simplement "non blancs". Une souffrance psychique massive et ignorée « Ce qu'on voit dans nos cabinets devient une réalité sociologique », alerte la psychiatre dans une interview exclusive. Victimes de discriminations quotidiennes, de suspicion généralisée, et de discours politiques ou médiatiques anxiogènes, ses patients présentent des symptômes récurrents : perte de confiance, sentiment d'infériorité, douleurs psychosomatiques, anxiété chronique, voire dépressions sévères. Une étude conjointe de l'INSERM et de l'Observatoire des inégalités le confirme : les personnes victimes de discriminations raciales ont 2,5 fois plus de risques de souffrir de troubles anxieux, et près de 3 fois plus de développer une dépression. L'islamophobie, prolongement de l'arabophobie Pour Bouvet de la Maisonneuve, il ne fait aucun doute que l'islamophobie contemporaine est un avatar de l'arabophobie historique. Elle cite les chiffres alarmants publiés avant sa dissolution par le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) : 65 % des actes islamophobes visaient des femmes, et 92 % des victimes étaient d'origine arabe ou maghrébine. Des données confirmées depuis par la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme), qui observe une banalisation des discours discriminatoires. Loin de se limiter aux constats médicaux, la psychiatre interroge les concepts en vogue. « Le mot "diversité" m'irrite », affirme-t-elle. Car ce mot, vidé de son sens, semble réservé aux personnes d'origine maghrébine ou subsaharienne, jamais aux "Français de souche" d'origine américaine ou suédoise. Pour elle, cette hiérarchisation induite crée une forme de citoyenneté conditionnelle. Et l'intériorisation de ce rejet se paie au prix fort : isolement social, repli sur soi, renoncement scolaire ou professionnel. Un chiffre accablant : 96 % des victimes ne portent pas plainte Dans une société où seuls 4 % des victimes de racisme déposent plainte, Bouvet de la Maisonneuve voit un signal d'alerte supplémentaire. « J'ai ma petite idée sur ce que deviennent les autres 96 % », confie-t-elle, évoquant les nombreux patients qu'elle suit, trop découragés ou méfiants pour enclencher une démarche judiciaire. Mais l'analyse de la psychiatre ne se veut pas uniquement sombre. Elle insiste sur l'existence d'une France solidaire, fraternelle, mobilisée contre la haine et l'exclusion. Une France invisible dans les médias mais bien présente sur le terrain : militants associatifs, éducateurs, voisins, familles mixtes, citoyens engagés. Ce sont eux qui l'accompagnent dans son "Tour de France contre la haine ordinaire". Dans les villes, les banlieues, les zones rurales, elle rencontre des citoyens de toutes origines unis dans un même désir de vivre ensemble. « Ce mélange marche bien », souligne-t-elle, même si l'attention médiatique reste focalisée sur les conflits. Le rôle politique des psychiatres : sentinelles de la République « Nous sommes des lanceurs d'alerte », affirme-t-elle. Dans ses consultations, elle voit éclore des fractures que le politique ignore et que les médias amplifient. Elle en appelle à une prise de conscience collective : sans écoute, sans réformes, sans volonté d'apaisement, la République marginalise une partie de sa population. Son ouvrage Debout tête haute témoigne de ces récits de souffrance et d'espoir. Il s'agit, selon elle, de sortir du silence, de remettre la fraternité au cœur du pacte républicain, et de valoriser les forces invisibles qui, chaque jour, construisent une France plus inclusive. Ainsi, dans un contexte où le discours politique et médiatique sur les questions identitaires tend à se durcir, la voix de Fatma Bouvet de la Maisonneuve résonne comme un appel à l'humanité. Contre les effets délétères du racisme et de l'islamophobie, elle propose une alternative fondée sur la santé mentale, l'observation clinique, l'action citoyenne et la solidarité transversale. Une France plus juste est possible, dit-elle. Encore faut-il l'écouter. Commentaires Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!