Tout compte fait, la montagne n'a accouché que d'une souris. Dans son discours à la nation, le premier depuis son investiture, Habib Essid est rarement sorti des sentiers battus. Le redit a pris le dessus sur l'inédit. Rien qui soit vraiment méconnu. Même les projets qu'il a élevés au rang de priorité nationale et dont il a annoncé la mise en œuvre à brève échéance, sont d'anciens chantiers, inscrits à l'agenda gouvernemental, que les gouvernements antérieurs n'ont pas exécutés. Il s'agit donc de projets à débloquer, à remettre à flot et non de nouveaux projets. Concernant les dossiers liés à la sécurité et au développement, Habib Essid n'a fait qu'entériner un constat unanimement dressé. Tout le monde connait les indicateurs et les chiffres dont il a ponctué son intervention. Il n'a rien appris qui soit inconnu de la population. Même au niveau des solutions préconisées, rien de nouveau. L'idée de changer de modèle de développement, déjà réclamée depuis des lustres, est reprise sans détails sur la conception, le fondement, le plan et l'architecture du nouveau modèle qu'il ambitionne mettre en place. Il a insisté sur les grandes réformes qu'il compte lancer dans les secteurs stratégiques, notamment l'éducation, la santé, l'administration, la sécurité sociale et le système de compensation, mais sans en préciser les contours, les objectifs et les sources de financement. Il s'est engagé à accélérer les projets bloqués. Il est bien beau d'énumérer les facteurs de crise, le diagnostic n'a surpris personne. Cependant, sans proposer des alternatives tangibles, sans faire preuve d'audace et sans prendre les décisions qui s'imposent, le tableau reste comme il a été brossé, à savoir noir et sans perspective. Rien que des professions de foi et de bonnes intentions. Le peuple n'a pas besoin de rabâcher ses problèmes mais de voir une voie de solution. Ce qu'Habib Essid n'a pas fait. En un mot, l'épreuve orale d'Habib Essid rappelle étrangement celle de Mehdi Jomâa : Sonnette d'alarme et vision opérationnelle défaillante. On ne gouverne pas avec la bonne parole et la bonne foi, n'importe qui en est capable. La population a élu un gouvernement pour concevoir des solutions concrètes, pour remettre le pays sur les rails, pour définir un plan de redressement qui soit clair, faisable et fiable, et non pour s'apitoyer sur son sort et le conforter dans sa peur. Par ailleurs, il n'est pas interdit de s'interroger sur le timing de cette allocution, prononcée en pleine crise de Nida Tounes, crise qui a forcément des effets adverses sur la marche gouvernementale. Par moments, Habib Essid a donné l'impression qu'il en est l'otage et qu'il n'arrive pas à s'en dissocier, dans la mesure où les ministres représentant ce parti, et même les autres, dans une moindre mesure, sont occupés beaucoup plus à résoudre le conflit et à sauver l'unité de leur formation politique qu'à plancher sur les objectifs à terme de leur mandat ministériel. Il n'est donc pas exclu que la crise de Nida Tounes ait, en quelque sorte, transvasé son onde de choc au gouvernement. En conclusion, Habib Essid a raté sa sortie, laissant sur sa faim toute la population. Il n'a pas semblé dans une position confortable, il a cafouillé un peu. Il a inventorié les symptômes sans signaler comment il envisage de s'attaquer au mal. Reconfirmer le diagnostic n'a jamais guéri un malade. Le bon médecin est celui qui opère, tranche dans le vif et apporte des remèdes efficaces, et nullement celui qui pérore sans cesse sur l'origine de la maladie.