Dans une société qui aspire au développement, à la maîtrise des sciences et des connaissances, à l'ancrage dans la modernité et l'universel, le contenu des enseignements dispensés par l'école doit impérativement répondre à une curiosité anthropologique concrète du spectacle de la diversité humaine. Avec comme visée pédagogique, la libération de l'apprenant de la prison idéologique de l'identité absolue. Or, cela ne semble ni intéresser ni engager les «représentants du peuple» à l'Assemblée constituante qui viennent d'approuver l'article 38 du projet de la constitution énonçant que «l'enseignement est obligatoire, jusqu'à l'âge de seize ans», que l' «Etat garantit le droit à un enseignement public et gratuit dans tous ses cycles et veille à fournir les moyens nécessaires pour réaliser la qualité de l'enseignement, de l'éducation et de la formation» et qu'il «agit pour l'enracinement de son identité arabo-musulmane ainsi que l'ancrage et le soutien de la langue arabe et la généralisation de son utilisation.» Cette constitutionnalisation du droit de l'homme à l'enseignement aurait été une démarche réellement ambitieuse en intégrant les concepts-clé de la culture aux couleurs du 21ème siècle comme les concepts de modernité, de tolérance et de citoyenneté. En outre, les auteurs de cet article semblent partir d'une conception fixiste de l'identité ; une identité amputée de ses autres appartenances. L'école est ce cadre de socialisation pédagogique-intellectuel où l'élève, appelons le citoyen de l'avenir, est conduit à s'affirmer comme sujet autonome, construisant lui-même sa propre identité citoyenne. C'est-à-dire un cadre qui donne à l'élève-citoyen de l'avenir les moyens de pensée et de culture pour qu'il puisse découvrir par lui-même les principes éthiques, les implications philosophiques de la culture de la différence et son effectuation pratique en termes de comportements individuels et collectifs. Une école appelée à agir, selon le projet de la constitution, à enraciner de manière exclusive la dimension arabo-muslmane de l'identité du Tunisien, ne peut que diffuser une culture de l'exclusion, de la négation de la différence, jeter les bases d'une identité aveugle et, donc, favoriser l'extrémisme tant condamné dans le discours politique aujourd'hui. Et c'est là que l'islamisme politique peut trouver le cadre approprié pour développer une mythique et une mystique de l'origine qui va enfermer l'apprenant dans la logique de la différence absolue. C'est pourquoi, l'article 38 du projet de la constitution interpelle tous ceux qui cultivent une autre ambition pour l'école et qui ont une perception ouverte et dynamique de l'identité. Quels vont être les objectifs d'apprentissage spécifique aux disciplines enseignées telles que les sciences humaines, les langues étrangères, la géographie, l'histoire, l'enseignement du français, la philosophie, l'éducation civique, etc.) ? Ces disciplines enseignées au niveau primaire, secondaire et supérieur ont tant bien que mal constitué jusque-là un vecteur de rencontre culturelle permettant au jeune apprenant, dès son jeune âge, de se frotter à d'autres cultures, d'autres visions du monde, d'autres manières de voir et d'agir. Le contenu de l'article 38 du projet de la constitution risque de heurter l'horizon d'attente des Tunisiens qui aspirent à une école à même de développer un humanisme fondé sur la rationalité critique et les valeurs de la tolérance. C'est-à-dire une école qui aurait pour finalité principale de former des sujets, au sens philosophique du terme, éveillés intellectuellement et capables de mettre à l'épreuve leurs capacités d'analyse critiques. Tout le reste n'est que vecteur d'identitarisme et d'ethnocentrisme arabo-musulman digne d'un temps révolu.